Jersey, 1er février 1854, mercredi après-midi, 3 h.
Ma pensée vous tire par la manche depuis tantôt sans que vous daigniez vous en apercevoir, vilain monstre que vous êtes, et il est probable que vous arriverez tout chaud tout bouillant chez moi ce soir à six heures pour être à six heures et demie chez Mme Leflô. Et vous avez le front de me donner cela pour du bonheur, ce dont un chien ne voudrait même pas. Allez, allez votre petit train, l’heure de la vengeance finira bien par arriver pour moi un jour ; en attendant je ronge mon frein et je bisque à cœur joie. Cependant, cela ne m’empêche pas de sentir tes saintes indignations contre les misérables vampires politiques qui mangent du pendu en hors d’œuvre sous prétexte qu’ils ne voient rien qui doive les empêcher de satisfaire leur goût anthropophagique malgré ton sublime avertissement [1]. Telle est la frugalité de ces honnêtes et doux modérés mise en regard de l’appétit féroce du tigre démagogique qu’on appelle, par corruption VICTOR HUGO. Hélas ! tout cela serait bien ridicule si ce n’était pas si odieux et ferait bien rire si cela ne serrait pas tant le cœur.
Pauvre grand adoré, ta douloureuse déception hier me navrait l’âme et je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer dès que tu as été parti. J’aurais voulu aller derrière toi pour baiser pieusement la trace de tes chers petits pieds en témoignage d’admiration et de vénération pour ta divine nature si généreuse et si adorable. Pour satisfaire ce besoin de mon âme, je me suis mise à baiser un à un tous tes chers petits portraits et j’y serais encore sia
BnF, Mss, NAF 16375, f. 51-52
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière
a) Fin de la lettre.