Guernesey, 28 mars [18]73, vendredi matin, 8 h. moins 20 m[inutes]
T’es vilain ! Pourquoi que tu t’es levé avant moi ! J’ai pas contente ! Je te défends à l’avenir de dénicher mon doux oiseau d’amour sans moi. Que je vous reprenne encore et vous verrez ! Je ne te dis que ça !
J’ignore comment ta nuit s’est comportée ; quant à la mienne elle n’a été qu’un long somme ; il paraît qu’il faut que je me casse bras et jambes pour plaire au citoyen Morphée ; à preuve que j’ai pioncé sans désemparer d’un bout à l’autre de ma nuit.
Ma gambe va on ne peut pas mieux et mon écorchure est séchée sans avoir eu besoin de recourir à aucune eau merveilleuse ni blanche ni noire et, pour peu que le brouillard se dissipea d’ici à tantôt, je pourrai, sans inconvénient, faire la promenade projetéeb en voiture aujourd’hui. C’est même en vue de cette douce espérance que j’ai commencé à disposer mes cliques et mes claquesc pour n’être pas en retard.
J’enverrai Suzanne chez toi à neuf heures, comme c’est convenu, prendre de tes chères nouvelles et t’en porter de bonnes des miennes. En attendant, je vais donner audience à la Broisine après laquelled il ne me restera plus un sou. Je t’en préviens pour que tu prennes tes précautions pour ne pas me laisser trop longtemps à sec d’argent. Cela dit, mon adoré, je ne m’inquiète plus de rien si ce n’est de savoir si tu m’aimes autant que je t’adore ?
BnF, Mss, NAF 16394, f. 84
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « dissippe ».
b) « projettée ».
c) « mes clics et mes clacs ».
d) « à près la quelle ».