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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 avril [1836], jeudi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon cher petit bien aimé. As-tu un peu dormi cette nuit ? Pauvre petit homme adoré, la pensée que tu travailles sans relâche et celle que tu erres au milieu de la nuit, l’esprit préoccupé, me tourmentent à un point que je ne puis dire. J’en rêve et le matin je ne suis pas plus rassurée. Car un malheur est si vite arrivé, surtout lorsqu’on en cherche l’occasion comme tu fais toutes les nuits. Enfin, j’espère que Dieu aura pitié de toi et de moi en te préservant des hommes qui se lavent aux fontaines des rues au crépuscule.
Avez-vous donné mon sucre d’orge et l’avez-vous donné de ma part ? Je tiens beaucoup à me mettre bien avec les Toto de tous les âges, c’est pour cela que je les prends en douceur. Je t’aime, mon Victor, je voudrais te servir à genoux. Je voudrais te rendre heureux, je voudrais te donner mon sang après t’avoir donné mon âme, enfin je voudrais être en extase toujours devant toi comme je le suis devant ta pensée. Je ne sais pas ce que je dis, mais je sais ce que je sens. Je sens de l’amour sans fin pour toi, de l’amour ardent, voluptueux et dévoué. Enfin, je sens tout l’amour qu’on peut éprouver sous quelque face que ce soit.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 302-303
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa


14 avril [1836], jeudi soir, 8 h. ½

Je t’aime, mon cher Victor. Et tu me fais bien du chagrin quand tu parais en douter. Quand tu manifestes ce doute je suis doublement à plaindre, car je l’attribue aux sacrifices que tu fais sans cesse pour moi et qui te font croire probablement que c’est un motif ignoble qui m’oblige à rester avec toi ; outre que cela me blesse dans la partie la plus sensible de mon amour, cela m’exaspère à un point que je ne puis dire puisque je suis sans ressource pour vivre indépendante de toi et de ton influence. Aussi, mon pauvre ange, aussitôt que tu manifestes du doute sur la sincérité de mon amour, j’y vois plus que de la jalousie, plus que de l’injure, j’y vois le reproche de vivre à tes dépens, j’y vois la nécessité de te prouver par un acte violent que tu te trompes sur la femme et sur l’amante. Souviens-toi de tes lettres brûlées. Tu sais ce qu’un doute de ta part m’a conduit à faire. Eh bien, mon pauvre ange, je te le dis du fond du cœur, lorsque tu doutes, non pas de ma fidélité mais de mon amour, ce qui est bien différent, il me prend envie de fuir à l’autre bout du monde, de vivre comme je pourrai, et de ne plus prononcer ton nom de ma vie. Ce sera la dernière preuve d’amour que je pourrai te donner. Au moins, celle-là, tu ne la rangeras pas au nombre de l’intérêt et de l’amour propre. Tu m’as fait bien du mal ce soir, cela t’arrive bien souvent, et toujours dans les moments les plus apaisés et les plus tendres de ma vie. Mais je t’aime.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 304-305
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

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