Paris, 14 mars [18]77, 1 h. du soir, mercredi
« Et je vais vous conter mon cœur avant ma faim [1] » en vous attendant, cher maître ! Depuis deux jours je m’attarde dans le rangement de mon secrétaire qui regorge de tout et de bien autre chose, surtout de lettres, de papiers et de comptes à toi. Cet encombrement était devenu tel qu’une chatte n’y aurait pas retrouvé ses petits. Il faudra de toute nécessité, mon cher bien-aimé, que je renonce aux lettres et aux journaux parce qu’ils me débordent et dépassent mes forces physiques. Toi seul peux accumuler et cumuler toutes ces fonctions diverses sans en être trop fatigué ; mais il n’en est pas de même pour moi, bien au contraire, car je ressens depuis quelque temps une sorte d’affaiblissement général qui me rend incapable de toute occupation longue ou multiple, exceptée celle de t’aimer pour laquelle je n’ai jamais eu le cœur plus ardent et l’âme plus présente que maintenant. J’espère bien que Dieu me conservera cette faculté pleine et entière jusqu’à la fin de mes jours. Mais puisque te voilà, je te dirai le mot de la fin de visu et d’auditu : je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 76
Transcription de Guy Rosa