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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 novembre [1846], samedi soir, 4 h.

Je t’écris bien tard mon pauvre doux adoré, cela tient au samedi et à l’exiguïté des jours. J’ai voulu me peigner à fond et faire toutes les ablutions qui en font partie. Duval aussi m’a occupéea et m’occupe encore. Tu sais combien j’aime à me mêler de mes affaires. Voilà ce qui fait que presque tous les samedis je suis en retard avec mon cœur. J’ai écrit à Mme Guérard pour lui faire mon compliment de condoléances. Mais il m’aurait été trop pénible d’assister à la messe de sa pauvre mère. Elle comprendra, du reste, le motif trop légitime, hélas ! qui m’a retenue chez moi ce matin.
Je t’écris, mon doux bien-aimé, je chasse tant que je peux toutes les pensées noires de mon esprit. Je tâche de n’y conserver que ton doux et charmant souvenir. Cher bien-aimé, est-ce que tu ne vas pas bientôt venir ? Il me semble que ton heure est bien passée ? Vous ne devriez pas être en retard si tard. C’est déjà bien trop plus tôt. Si j’étais auprès de vous je vous forcerais de venir. Il est vrai que si j’étais auprès de vous j’aurais toute la patience d’un cœur satisfait.
Il n’est pas probable que Mme Lanvin vienne aujourd’hui à cause du mauvais temps. Cela me contrarie on ne peut pas plus car cela ajourne indéfiniment le renseignement que je veux avoir. Et puis cela autorisera M. Pradier à ne pas payer du tout. Décidément toutes ces choses sont mal arrangées. Je te dis là des choses inutiles et que tu sais aussi bien que moi. Je ne vois pas pourquoi je m’obstine à être une vieille rabâcheuse quand je peux être une bonne Juju bien tendre, bien amoureuse de son Toto et le lui disant dans son patois. Voilà ce que c’est que les mauvaises habitudes, on a toutes les peines du monde à les déraciner.
Je vous ai mis de la belle encre neuve et deux plumes toutes neuves aussi. Mâtin de chien, si vous vous plaignez encore après ces munificencesb c’est que vous serez difficile à satisfaire. Quant à moi tout m’est égal en fait d’écriture. Je n’y mets pas de luxe et j’écris aussi mal avec une bonne plume qu’avec une mauvaise. Je ne tiens qu’à une chose dans ce monde, c’est à vous, c’est pour cela que je vous ai si peu souvent. Hélas ! c’est bien là mon ennui. Mais chut, je ne veux pas grogner à la fin de mon gribouillis. Baise-moi bien vite et mets que je suis très aimable.

Juliette

MVH, α 7823
Transcription de Nicole Savy

a) « occupé ».
b) « mugnificences ».

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