6 avril [1847], mardi après-midi, 1 h ¼
Je suis toujours très inquiète de savoir dans quelle chaussure je pourrais aller au-devant de toi. Jusqu’à présent je n’ai pu supporter que mes pantouflesa [1] sans quartier et j’ai une peur de chien de ne pouvoir pas mettre autre chose dans mon hideux pied. Ah ! bah ! Quand je devrais souffrir la vraie torture du brodequin je ne t’en irai pas moins chercher tantôt. Mieux vaut après tout souffrir du pied que du cœur. C’est dit, c’est convenu, j’irai au-devant de toi n’importe comment. J’espère que je te verrai tout à l’heure, mon bien-aimé, et je m’en fais une petite joie d’avance. C’est si bon de te voir et de te respirer le temps seulement que tu mets à baigner tes beaux yeux que je m’en fais un bonheur rien que d’y penser. N’oublie pas de me donner un mot demain pour un théâtre quelconque [2]. À cause de mon pied j’aimerais mieux que ce fût le plus près possible seulement tâche de t’en souvenir et de me donner le mot assez à temps pour y envoyer Suzanne. En attendant je vous attends. Vous attendrai-je encore longtemps ? Baisez-moi, je vous adore.
Juliette
Collection particulière (Vente Traces écrites avril 2024)
Transcription de Joëlle Roubine
a) « pantouffles ».