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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 juin 1849

27 juin [1849], mercredi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon tout adoré, bonjour mon ravissant petit homme, bonjour. Tu n’as pu venir hier au soir, ce que je comprends en songeant à la masse de gens et d’affaires que tes deux jours d’absence ont dû amonceler chez toi [1]. Aussi, n’ai-je pas été surprise en ne te voyant pas hier au soir. Seulement, il ne m’est pas possible de ne pas te regretter de toutes mes forces malgré les presque deux jours de bonheur que tu m’as donnés. En te quittant hier, je me suis hâtée de rentrer chez moi parce que j’attendais Louise [2] et que je voulais l’aider à m’arranger une robe. Malgré nos nombreux coups d’aiguille, il a été impossible de la finir hier mais jeudi matin la jeune Louison viendra l’achever. Pendant qu’elle faisait un ourlet auquel je ne pouvais pas aider, je lui ai lu ton discours dans les bureaux et l’article de Charles [3] sur les arts et métiers, ce dont elle a été ravie. Elle s’est en allée à neuf heures et demie, et moi je me suis couchée de guerre lasse à 10 h ½ ! mais je n’ai éteint ma bougie qu’à onze heures quand il n’a plus été possible d’espérer te voir. Voilà, mon amour, ce que j’ai fait hier. Tout cela entremêle de ta pensée qui ne me quitte jamais et qui fait l’objet de toutes mes conversations. Et le but universel de toutes mes [illis.].

Juliette

MVHP, MS a8232
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


27 juin [1849], mercredi matin, 11 h.

Je me tiendrai prête à tout événement pour midi ½, mon cher petit Toto, mais tu serais bien gentil si tu pouvais venir d’ici là me donner ton heure avec plus de précision, non pas que je craigne de t’attendre puisque c’est mon état, mais pour te voir une fois de plus. Dites donc, mon cher petit représentant, où en est la lettre H s’il-vous-plaît [4] ? Il me semble que vous me l’avez adroitement soufflée ? Si je me trompe à l’endroit de votre probité, vous devez toucher à votre tour parce que la dernière fois que vous avez eu des billets c’était le 10 juin et nous sommes le 27. Je vous prie de réclamer à mon nom parce que je tiens plus que jamais à mes droits politiques. Une chose à laquelle je tiens aussi essentiellement c’est à ce que vous fassiez usage de ma cassolettea, surtout que voici les grandes chaleurs revenues. Si le vinaigre est éventé il faut me le dire, j’en remettrai du frais à MES FRAIS, parce que je veux vous garantir de tous les affreux miasmes qu’exhalentb vos immondes collègues. Maintenant, cher bien-aimé, laissez-moi vous adorer à cœur que veux-tu ? et vous désirer immodérémentc. Tâchez de venir tout à l’heure parce que plus tôt je vous vois et plus tôt je suis heureuse. Je vous baise sur toutes les coutures.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 179-180
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « cassollette ».
b) « exalent ».
c) « immodérémment ».


27 juin [1849], mercredi soir, 9 h. ½

Est-ce que je ne te verrai pas encore ce soir, mon doux aimé ? Ce serait vraiment commencera la restitution de mes deux jours de bonheur trop tôt. Sans compter qu’il n’y en aurait pour longtemps au train dont tu y vas. Je sais bien, du moins, je crois savoir, que tu n’es pas le maître de faire autrement, ce qui ne me rend pas plus contente. Te voici, quel bonheur !!! Mon bonheur a duré juste le temps de l’exclamation. C’est un peu court. Cependant, mon adoré, cette fugitive apparition suffira pour me faire passer une bonne nuit. Aussi, je t’en remercie et j’en suis bien heureuse. Je serai prête à midi ½. Je ferai tout ce que tu voudras pourvu que tu m’aimes rien ne me rebutera. Mon bonheur c’est de t’obéir en toute chose, une chose exceptée, celle de t’aller chercher des péronnelles par la main et de te les amener à domicile. Excepté cela, je suis capable de tout. Tu peux me mettre à l’épreuve quand tu voudras, tu verras si je recule. Je vais revenir aujourd’hui par le chemin que nous avions suivi le dimanche matin pour aller trouver le chemin de fer. J’ai voulu, comme le Petit Poucet, voir si je retrouverais toutes les joies que j’avais émiettées le long de la route ce matin-là, mais je n’ai retrouvé que la fameuse L’ÉCUME DE MER FRANÇAISE, le regret de mon bonheur trop tôt passé et la hideuse maison de la rue Laval dont les volets délabrés laissaient passer de monstrueuses toiles d’araignées. Quelle horreur ! Voilà, mon adoré, le résultat de mes pérégrinations par le chemin ou pour avoir été si heureuse trois jours avant

Juliette

MVHP, MS a8235
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « commencé ».


27 juin [1849], 2e feuille, mercredi soir, 8 h.

même de violer la constitution, de renverser la sainte république et son auguste famille, d’envahir l’assemblée, de tirer le nez à M. THIERS et les cornes de LEBOEUF. ALLONS DONC. Oh ! mais oui, ah ! mais oui, ah mais oui qu’on vous dit. Je suis capable de tout et de beaucoup d’autres choses pour sortir de cet état abrutissant et dépravant dans lequel je croupis depuis la glorieuse de février. En attendant, je bisque, je rage et je ne sais où donner de la tête et du corps faute d’argent et de chemise. Cependant, les feuilles de vignes elles-mêmes commencent à devenir rares. Je demande comment les remplacer ? Vous qui êtes par état forcé de trouver des expédients, je m’adresse à vous pour résoudre cette difficulté qui menace de devenir une calamité publique.

Juliette

MVHP, MS a8233
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1Juliette et Hugo sont partis le dimanche précédent passer un jour et demi à Rouen. Ils ont grimpé la côte de Bonsecours, à l’est de Rouen.

[4Chacun des représentants du peuple reçoit des invitations pour l’Assemblée distribuées en fonction de l’ordre alphabétique.

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