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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 décembre [1845], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon petit Toto, bonjour, mon adoré, bonjour, mon pauvre homme occupé, bonjour le bien aimé de mon cœur, comment vas-tu ce matin ? M’aimes-tu malgré ton travail, tes mille tracasseries, tes affaires, la session [1] et le peu d’attrait de ma grognonne personne ? Je pense que tu as raison, mon Toto, dans tout ce que tu m’as dit hier et je ferai tout mon possible pour suivre tes conseils à la lettre, quoique ce soit souvent très difficile. Je te promets pourtant de m’y appliquer de mon mieux.
Cher petit homme, que ne puis-je vous remplacer pour un moment ? Avec quelle ardeur je ferais défense aux comédiens de répéter mes pièces avant d’avoir eu d’eux un bon traité en forme, avec quelle volupté je leur lâcherais les huissiers, avec quel plaisir ineffable je leur arracherais une bonne garantie contre leur mauvaise foi habituelle ! Hélas ! je ne suis qu’une pauvre Juju et tous les efforts de toute la sorcellerie réunis ne pourraienta faire de moi qu’une bête, ce qui ne vaut pas la peine de changer. Mais si j’étais à ta place, je ne sais pas ce que je ferais plutôt que de laisser passer l’occasion d’avoir un bon traité de ce perfide théâtre. Pardon, mon petit bien-aimé, de copier à ce point la science de Madame Marthe [2], mais c’est qu’en vérité, rien n’est plus agaçant et plus triste que de savoir un pauvre homme, le plus grand, le plus beau, le plus doux, le plus noble et le plus généreux d’être en proie à la mauvaise foi et au crétinisme d’une bande de hideux gredins comme ceux-là. Quant à moi, cela me révolte et m’exaspère.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 273-274
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « réunie ne pourrait ».


19 décembre [1845], vendredi soir, 4 h. ½

Je vous attends, mon petit bien-aimé, hâtez-vous si vous tenez à m’apporter de la joie et du bonheur, deux ingrédients que vous seul pouvez me procurer dans ce monde. La nuit est venue mais il fait un temps de chien et de poète. Aussi je vous attends avec un peu plus de confiance que s’il faisait parfaitement beau.
Cher petit Toto, mon bien-aimé, mon amour, je t’aime. Je sais que tu es occupé et que tu as à peine le temps de respirer. Je t’attends, sinon avec patience, ce qui ne m’est pas possible, du moins avec résignation et en t’aimant de toutes les forces de mon âme. Je vais finir de copier ce que j’ai ce soir [3]. J’espère que tu ne me feras pas attendre et que tu auras la bonté de m’en donner tout de suite d’autre copie ? Je vais me dépêcher afin de pouvoir en exiger à cor et à cris. Je vous préviens que je serai très méchante si vous me faites perdre mon temps à vous attendre. Voime, voime, Juju sera furieuse et Juju regardera par-dessus l’épaule de son Toto quand il sera bien en train d’écrire. Elle en aura le droit s’il pousse la férocité jusqu’à lui faire tirer la langue pour avoir la suite de son évêque [4] ou tout autre chose qui lui plairaa. Pourvu qu’il le lui donne ce soir à copier. En attendant, Juju vous aime, elle vous baise et elle vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 275-276
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « qu’il lui plaira ».

Notes

[1S’agit-il d’une session de la pairie ?

[2À élucider.

[3Victor Hugo a commencé la rédaction des Misères le 17 novembre 1845. Juliette Drouet en copie le manuscrit.

[4Juliette évoque l’évêque de Digne des Misérables.

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