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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 septembre [1845], mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon cher bien-aimé, je te dis un bonjour bien froid et bien grelottant grâce à ce hideux temps. Mais, au fond du cœur, il est très ardent et te brûlerait le tien s’il s’en approchait tout près.
Comment vas-tu ce matin ? Tu dors encore j’espère ? Tu t’es couché assez tard pour avoir le droit de dormir à cette heure-ci. Ce n’est pas comme nous qui nous couchons avec les poules, mais que veux-tu que fassenta deux femmes seules toute une longue soirée, si ce n’est de se coucher de bonne heure et de dormir ? Il m’arrive encore bien souvent de me réveiller dans la nuit et de penser à des choses fort tristes. Cette nuit, par exemple, je ne pouvais plus me rendormir et je pleurais sans pouvoir m’en empêcher en pensant à nos nuits d’autrefois. Les journées ne sont pas beaucoup plus gaies. Je te vois moins de jour en jour. Il y en a même où je ne te vois pas du tout. Je sais tout ce que tu as à me dire à ce sujet, mais cela n’en est pas plus consolant. Toutes tes douces paroles ne sont que des calmants qui n’empêchent pas la maladie d’exister et de faire des progrès. Je sais que tu m’as promis deux jours cette semaine [1], mais le temps se chargera de te délier de cette promesse obtenue à force d’obsession et d’importunité.
Tu vois, mon cher bien-aimé, que pour m’être levée de bonne heure, je n’en suis ni plus gaie, ni plus aimable. J’aurais mieux fait de dormir que de te dire toutes ces noires maussaderies. Cher adoré, je t’en demande pardon. C’est malgré moi et parce que je t’aime trop. Malheureusement je ne peux pas t’aimer moins, ce qui t’expose à recevoir encore bien de tendres grogneries et d’amoureuses jérémiades. Prends-en ton parti et aime-moi de toutes tes forces, car je le mérite malgré tout cela.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 318-319
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « que fasse ».


24 septembre [1845], mercredi après-midi, 3 h.

Je t’écris en t’attendant, mon cher bien-aimé, je ne sais pas si tu pourras nous faire sortir tout à l’heure, mais je sais à l’avance que mon cœur te tiendra compte de l’intention tout aimable que tu viens d’avoir. Cher adoré, ce n’est pas pour te tourmenter en pure perte que je t’assure que tu me faisais sortir.

Mercredi soir, 7 h. ¾

J’en étais là de mon rabâchage, mon cher petit bien-aimé, lorsque tu es venu nous chercher. Maintenant je ne me souviens plus de ce que je te disais, je ne me souviens que de la joie que tu m’as donné tantôt. Cher bien-aimé, quand je suis avec toi il me semble qu’il fait jour dans mon âme, que mes poumons se dilatent et que je respire à pleine poitrine. J’ai beau sortir sans toi, je ne m’aperçois pas si je vis, tant le sentiment d’isolement et de tristesse que j’ai au fond du cœur émoussea toutes les sensations extérieures. Nous t’avons regardé en aller, mon Victor chéri, tant que la voiture a été dans la rue Saint-Antoine. Il m’a paru que tu nous voyais. Je ne sais pas si c’est une illusion mais elle m’a fait bien plaisir dans le moment.
Le moment approche, mon Victor adoré, où nous allons être ensemble pendant deux bons jours [2]. Deux jours qui, de loin, me paraissent deux siècles de bonheur et qui, lorsque j’y toucherai, ne me sembleront plus que deux secondes tant ils auront passé vite. Pourvu qu’il fasse beau. Oh ! mais c’est égal, tu me les donneras tout de même, ces deux jours tant désirés et tant attendus, n’est-ce pas mon Victor adoré ? Nous ne sortirons pas de chez nous, ce qui [ne] nous empêchera pas d’être heureux. Je voudrais déjà y être. En attendant, je t’aime à deux genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 320-321
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « émoussent ».

Notes

[1Ils ne passeront qu’un seul jour, le 26 septembre, dans la vallée de la Bièvre, aux Metz.

[2Ils ne passeront qu’un seul jour ensemble, le 26 septembre, dans la vallée de la Bièvre, aux Metz.

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