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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mai 1845

16 mai [1845], vendredi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon petit Toto chéri, bonjour, mon petit pair éblouissant, bonjour, mon soleil, bonjour, toi que j’adore. Vous étiez bien beau cette nuit, mon amour, mais il y a un moment où vous êtes suprêmement plus beau encore. C’est celui où vous m’aimez. J’ai trouvé que cette charmante petite heure de joie que tu m’as donnée cette nuit avait passé comme une minute. J’aurais voulu te retenir ou pouvoir recourir après toi. Dans ces moments-là, si j’étais homme et si j’avais une culotte au lieu de jupe, rien ne pourrait m’empêcher de vous suivre et de violer tous vos domiciles. Maintenant je ne suis qu’une faible femme bien vieille et bien maussade, incapable de retenir, par force ou par plaisir, votre ravissante petite personne. Je me rends cette triste justice à moi-même et je n’en suis pas plus fière ni plus heureuse, je vous assure.
Aujourd’hui il me semble qu’il n’y a aucune chambre et pas la moindre Académie, est-ce que je ne te verrai pas un petit peu plus longtemps, mon Toto chéri ? Peut-être seras-tu appelé près de ton beau-père ? Dans ce cas-là, mon Victor bien-aimé, et quelque soit mon désir et mon impatience de te voir, je t’attendrai avec courage et résignation en t’aimant de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 181-182
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


16 mai [1845], vendredi après-midi, 4 h. ¼

Oui, mon cher petit bien-aimé, tous les jours je me fais belle dans l’espoir que vous viendrez et que vous vous en apercevrez et tous les jours je fais chou blanca. J’en excepte aujourd’hui quoique vous soyez resté si peu que ce n’est pas pour moi un plaisir, mais un regret de plus. Enfin vous êtes venu, vous m’avez vu et je ne vous ai pas vaincu [1]. Vous êtes parti aussi vite et aussi fier que lorsque je suis en guenilles et en bonnet de nuit sale. La souillonnerie ne me réussitb pas mieux que la coquetterie. Décidément mon RÈGNE est passé. Hélas ! je voudrais savoir qui est-ce qui me remplace à cette heure dans votre cœur pour lui griffer la figure [2]. Quant à la vôtre, de figure, je vous conseille de prendre les plus grandes précautions pour peu que vous y teniez, car je sens d’horribles démangeaisons de vous la GRAFFIGNER [3] depuis le haut jusqu’en bas, en long et en large. Vous ne m’avez seulement pas offert de vous accompagner chez le décorateur. Vous avez eu peur que je n’accepte avec empressement et vous avez eu raison. Depuis que vous êtes pair de France et vice-président de votre bureau [4], vous ne me croyez plus digne de sortir avec vous. Soyez tranquille. J’en ai peut-être plus que vous des pairs de France et je m’en servirai à votre nez et à votre barbe, vous verrez. Je ne vous dis que ça.

BnF, Mss, NAF 16359, f. 183-184
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « choux-blanc ».
b) « réussis ».

Notes

[1Référence à la célèbre expression de Jules César « Veni, vidi, vici  ».

[2Victor Hugo entretient alors une relation adultère avec Léonie d’Aunet (Léonie Biard) depuis 1843 ou 1844. Juliette Drouet n’a pas connaissance de cette liaison.

[3« Égratigner, griffer » (TLF).

[4Le numéro 137 du Moniteur Universel daté du samedi 17 mai 1845, dans la rubrique « Chambre des pairs », rapportant la séance du vendredi 16 mai, signale que les bureaux de la Chambre sont réorganisés. Victor Hugo devient ainsi vice-secrétaire du deuxième bureau, et non vice-président comme l’évoque Juliette.

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