16 janvier [1849], mardi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon petit homme bien aimé, bonjour, mon grand Toto, bonjour, mon admiration dure toujours et s’est encore accrue depuis hier. Je voudrais être sous la bande de tous les journaux qui contiennent ton discours ce matin pour assister à la joie et à la rage des uns et des autres. Quels cris d’admiration et de fureur vont se croiser par-dessusa les tasses de café plus ou moins à la crème. D’y penser j’en saute de plaisir sur ma chaise. Je vais joliment me dépêcher de m’habiller pour t’accompagner tantôt. Je ne veux pas que tu prennes l’habitude de patauger sans moi. Parce qu’après tu ne pourrais plus me souffrir du tout. Je n’ai plus que ce pauvre petit moment où j’aie le droit de m’approcher de toi. Je veux le conserver à toutb prix. La Constituante et la Législative [1] peuvent s’empoigner à la perruque tant qu’elles voudront, je ne m’y oppose pas pourvu qu’on me laisse mon droit de barbet et de caniche [2]. Là-dessus je n’entends à aucun amendement et je ferais plutôt une troisième résolution que de concéder le plus petit pavé ou le plus étroit trottoir. Aussi pour ne pas vous fournir le prétexte de m’accrocher à un clou, je me hâte de finir mon gribouillis pour me préparer à vous accompagner de bonne heure. Jusque-là je vous aime comme une dératée……………c
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/16
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) « pardessus ».
b) « tous ».
c) Las quinze points de suspension courent jusqu’au bout de la ligne.
16 janvier [1849], mardi matin, 11 h.
Je brûle toutes les étapes de mon ménage pour arriver à temps à l’heure de ton Assemblée [3]. J’espère qu’il ne pleuvra pas d’ici là et que je pourrai barbotera à mon aise avec toi pendant trois quarts d’heure. Il est vrai qu’il serait possible que tu fusses retenu chez toi par suite de l’effet que ton discours a produit parmi tous ceux qui savent lire. Je ne serais pas étonnée qu’au lieu de venir à midi ou une heure, tu ne vinsses que très tard. Cependant je ne veux pas m’exposer à manquer par ma faute mon cher petit trajet auquel je tiens comme rache [4]. Aussi je me dépêche tant que je peux de finir toutes mes affaires. Mon Victor bien aimé, pense à moi qui t’aime du plus profond de mon cœur et avec le meilleur de mon âme. Je n’ai pas d’autre souci que celui de conserver ton amour, d’autre ambition que celle de t’aimer toujours, d’autre bonheur que celui de te voir. Tous les événements du monde ne peuvent pas me distraire de cette tendre préoccupationb. J’aurais à ma disposition tous les esprits et tous les cœurs que je les emploierais à penser à toi et à t’aimer. J’aurais tous les yeux et toutes les bouches qui sourient à l’amour que je les occuperais à te regarder et à te baiser.
Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/17
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) « barbotter ».
b) « préocupation ».
16 janvier [1849], mardi soir, 10 h. ½
Tu n’as pas pu revenir ce soir, mon doux et sublime adoré, mais mon cœur te tient compte de la bonne intention et j’irai me coucher sans amertume et en remerciant le bon Dieu de t’avoir fait si beau, si grand, si noble et si charmant. Je te remercie de ton cher petit manuscrit dont j’ai remis tous les morceaux en ordre après les avoir lus et baisés. Je te remercie d’être venu me chercher ce soir et je te remercie encore et surtout pour la bonté tendre et ineffable que tu m’as montrée ce soir. J’ai le cœur plein d’amour et de reconnaissance et je veux te le dire avant de me coucher. Je veux que tout ce que je pense à présent passe dans tes rêves cette nuit et que tu me sentes présente auprès de toi malgré la distance trop réelle qui nous sépare [5]. J’ai travaillé jusqu’à présent après mes pauvres guenilles dont j’ai bien de la peine à faire des ZARDES neuves. Demain j’aurais eu trop peu de temps à moi voulant être prête à midi ½. Surtout que c’est le jour de la blanchisseuse. Aussi j’ai pris les devants et je me suis jetéea à corps perdu dans les reprises et dans les points de chaussonb, genre expéditif et naïf, le seul qui convienne à mon caractère et à mon talent. Cher petit homme adoré, je ne veux pas attrister ma nuit par la pensée de ton dîner de demain. Cependant il m’est bien difficile d’avaler ce dîner-là sans faire la grimace. D’avance j’en ai une indigestion…. de patience, que sera-ce donc demain ? D’ici là je t’envoie toutes mes tendresses. Juliette
Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/18
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) « jeté ».
b) Juliette Drouet a dessiné neuf points de chausson qui occupent la moitié de la ligne.