Guernesey, 23 mars 1860, vendredi matin, 7 h. ½
Bonjour mon cher bien-aimé, mon âme t’envoie ses plus douces tendresses et mon nez te salue d’une triple salve de : Hatchis ! Hatchis ! Hatchis ! qui fait honneur à mon rhume encore plus qu’à mon cerveau qui semble se fondre en eau depuis hier au soir. J’espère que son intensité même l’enrayera et qu’il s’arrêtera juste où commence la bronchite. J’avoue que je suis assez lâche pour faire tout ce qu’il faut pour cela. Mais toi, mon bien-aimé, comment as-tu passé la nuit et comment vas-tu ce matin ? As-tu fait ta partie de billarda avec ton hôte M. Busquet [1] ? Tu me diras cela tantôt. En attendant CUISINIÈRE doit venir ce matin, mettre mon vin [2] en bouteilles. Il paraît que le dessous de l’escalier qui fait ma CAVE est pourri et tombe en décombre et qu’il y a eu trois bouteilles cassées cette fois-ci. Si cela devait augmenter ce serait un fichu cellier que nous aurions là. Je vais me lever pour voir par moi-même l’imminence du péril. Du reste la maison, l’étage nouveau excepté, tombe en ruine et est plus que vermoulue partout. En somme je crois qu’il n’y a pas à regretter de ne l’avoir pas achetée. Nous profitons de ce qu’elle a de plus de doux, de meilleur et de charmant : ton voisinage, la rue de ta maison et le splendide horizon. Quant à moi cela suffit de reste à mon ambition et je n’en demande pas davantage en dehors de ton amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 59
Transcription de Claire Villanueva