Guernesey, 21 mars 1860, mercredi matin, 8 h.
Bonjour toi que j’aime, bonjour de la voix, de la pensée, du cœur et de l’âme, bonjour. As-tu passé une bonne nuit, mon cher petit homme ? Tu me diras cela tantôt. Quant à moi, j’ai à peine dormi et j’éternue ce matin sans m’arrêter. J’espère que ce rhume ne dépassera pas la limite de mon nez car ce serait vraiment trop bête d’avoir deux fois de suite une bronchite de deux mois. Du reste il fait un temps hideux ce matin. Le printemps oublie complètement son entrée de sorte que les rhumes de cerveau sont forcés de tenir compagnie à l’hiver. Quant à moi c’est une cour assidue que je lui fais depuis trois mois, cette courtisanerie est assez lâche et je me la reproche honteusement. J’aurais pourtant désiré aller voir les garde-cendres [1] et herboriser un peu de bric-à-brac. Mais je crains que vous ne vouliez pas m’emmener à cause de ma borne-fontaine [2] nasale. Décidément je n’ai pas de chance. Quant à vous, c’est différent, vous allez vous goberger dans des bibelots abondants et variés selon votre louable habitude et vous ne m’en donnerez pas la queue d’un seul. Si c’est comme ça que vous faites mon bonheur, merci ! Un jour viendra où je regorgerai à mon tour de pénaillons sans nombre et où je vous laisseraib tirer une langue de 30 centimètres et ce sera bien fait.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 57
Transcription de Claire Villanueva
a) « laisserez »