Guernesey, 13 février 1860, lundi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bon jour. Nichez-vous bien sous vos couvertures car il fait un froid capable de vous geler tout vif dans votre lucoot. Quant à moi je ne sais comment me défendre contre le fin duvet de neige qui passe à travers ma fenêtre et arrive jusqu’à mon lit. J’ai beau m’envelopper et me couvrir j’en ressens la mordante fraîcheur. Quel temps, mon pauvre adoré ! Prends bien garde de ne pas t’enrhumer et surtout ne descendsa pas à la ville au risque de te tuer par le verglas qu’il fait. Je suis même assez inquiète de Suzanne qui a voulu aller chercher son lait dans le moment de la plus grande tourmente et qui tarde beaucoup à revenir. Je serais désolée s’il lui arrivait quelque accident. Ah ! Enfin, je l’entends qui parle à son chat, voilà qui me tranquillise. Quant à toi, mon cher adoré, il faut faire ta barbe toi-même chez toi si tu tiens absolument à éblouir Mme Lefort mais je te supplie de renoncer à [velours ?] pour aujourd’hui. Il m’est impossible de songer à te parler d’autre chose que de cette recommandation qui intéresse mon bonheur et ma tranquillité autant que ma vie même. J’espère que nonobstant la tempête enragée de cette nuit tu as bien dormi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 19
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette