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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 juin 1844

13 juin [1844], jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour mon pauvre ange triste, bonjour ma pauvre âme affligée, bonjour le plus aimé, le plus admiré et le plus adoré des hommes, bonjour, bonjour, je t’aime. Comment vas-tu ce matin ? Penses-tu à moi ? M’aimes-tu ? Je te suppliea, mon cher petit, de ne pas te faire une préoccupation ni une contrariété de ce buste de David [1]. Après tout, il n’y a rien de plus simple, puisque c’est ton portrait qu’il a fait, qu’il y ait mis la couronne du génie que le bon Dieu a posé sur ton beau front en venant au monde.
Je te dis cela comme en revenant de Pontoise [2], mais cela ne fait rien, tu es habitué à mon style iroquois et tu me comprends parfaitement. Je dis que David a raison, que tout le monde a raison et que cela ne te regarde pas. Seulement, je veux qu’on m’en donne une petite copie en plâtre ou je grognerai bien fort et je me fâcherai tout rouge.
Baisez-moi, mon cher petit. J’ai une peur de chien de vous prêter mon chat : je crains qu’il ne soit très malheureux chez vous et qu’il ne revienne jamais. Cependant, j’en ferai le sacrifice plutôt que de vous laisser dévorer par les souris comme l’évêque de la légende [3]. Sur ce, baisez-moi et venez bien vite me voir. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 143-144
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « suplie ».


13 juin [1844], jeudi soir, 6 h. ½

Ne pas te voir ce soir, mon pauvre bien-aimé, qu’est-ce que je vais devenir ? Mon pauvre cœur se serre d’avance. Je prie le bon Dieu de t’envoyer à moi. Je le prie de te donner pour ce soir, toute l’impatience et toute l’ardeur qui me dévorenta depuis que je t’aime afin que tu ne puisses pas rester loin de moi et que tu viennes en dépit de ton travail et de tes affaires ce soir. Pauvre bel ange, je te remercie de ton bon mouvement pour cette pauvre femme [4], je t’en remercie comme pour moi-même. Seulement, je crois inutile d’insister pour cette fois. Il peut se trouver une occasion plus urgente de lui rendre service et tu sais que nous sommes obligés de ménager nos ressources. Si tu peux les servir auprès du ministre ou de Cailleux, fais-le tout de suite, car ces malheureuses gens sont vraiment dans une misère atroce. Je sais d’avance que tu le feras et je t’en remercie du fond du cœur et je t’aime de toute mon âme. Si tu pouvais venir ce soir, je serais bien heureuse et je n’aurais plus rien à désirer. Je t’aime trop, mon Victor, je t’obsède de mon amour, n’est-ce pas ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 145-146
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « dévore ».

Notes

[1À élucider.

[2Avoir l’air de revenir de Pontoise : avoir l’air hébété, confus, troublé.

[3Allusion à la légende de l’évêque Hatto de la Tour-aux-Rats de Bingen, dans la légende allemande évoquée par Hugo dans Le Rhin (1842). L’évêque affameur du peuple, barricadé dans sa tour, y est dévoré par les souris.

[4À élucider.

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