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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 janvier [1844], mardi matin, 9 h. ¼

Bonjour, mon petit bien-aimé. Bonjour, mon cher petit homme adoré. Bonjour, je t’aime. On dit qu’il pleut mais je n’en serai pas moins prête à sortir dans le cas où tu aurais le temps de me faire marcher. Je veux profiter de toutes les occasions même de celles de me faire mouiller jusqu’aux os. Je n’ai toujours pas de nouvelles de Claire. Peut-être vaudrait-il mieux aller la voir tantôt que d’aller chez Mme Pierceau ? Il est vrai que ce ne sera pas sur le chemin de l’assurance et puis je pense que je verrai peut-être Mme Triger ce soir lorsqu’elle ira chez son cousin. Tu verras à décider cette question tantôt ?
T’es-tu un peu reposé cette nuit, mon cher bien-aimé ? Comment te trouves-tu ce matin ? Bien n’est-ce pas ? Tu ne te ressens pas de la fatigue de tous ces jours derniers ? Il faut espérer, mon pauvre petit homme, que tu vas être un peu plus tranquille à présent car vraiment tes forces ne suffiraient pas à la longue pour résister à tant d’activités et à tant d’émotions douloureuses [1]. Mon pauvre petit homme chéri, je voudrais t’emporter bien loin, bien loin pour te mettre à l’abri de toutes les misères humaines. Mais hélas le paradis terrestre n’existe pas et, quand bien même il existerait, tu ne voudrais pas venir seul avec moi.
Il faut donc, mon cher bien-aimé, se résigner à vivre dans ce monde tel qu’il est et tâcher de ne pas prendre des affaires et des tourments au-delà de ses forces. Et puis il faut tâcher de m’aimer un peu et de me le prouver quelquefois si c’est possible. Moi je ne peux tâcher que de t’aimer moins.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 113-114
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


30 janvier [1844], mardi soir, 8 h.

Je n’ai pas voulu perdre une goutte de toi, mon adoré, à cause des deux vieilles péronnelles [2] qui étaient à la maison. Je me suis mise à ma fenêtre, mon adoré, et je t’ai suivi du regard jusqu’à ce que tu aies tourné le coin de ma rue. Pauvre ange, à peine t’ai-je eu perdu de vue que j’ai senti ma joie s’envoler. Il me semblait que tu emportais ma vie avec toi. Cependant, mon cher adoré, je venais de passer deux bien bonnes heures avec toi : peut-être était-ce ces deux heures de bonheur ineffable qui rendaient ta disparition encore plus pénible. Mais d’ailleurs je n’ai pas besoin d’expliquer ce phénomène qui se renouvelle chaque fois que je te vois et que je te quitte.
Ainsi que je l’avais prévu ce matin Mme Triger est venue me donner des nouvelles de ma fille. Son mari n’y était allé qu’hier, ce qui expliquait le retard de la lettre de Claire. Du reste, Claire avait écrit à Mme Triger pour la prier d’empêcher son mari d’aller la voir, sa visite devenant inutile à cause de l’incident survenu. La lettre et M. Triger se sont croisés parce que je n’ai pas la chance d’échapper à aucun frais inutilea. Il lui a cependant ordonné de nouvelles pilulesb dont il attend merveille.
Je t’aime, mon Victor adoré. J’ai été bien heureuse tantôt. Je t’attends avec impatience pour t’en remercier à genoux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 115-116
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « inutiles ».
b) « pillulles ».

Notes

[1Charles Nodier meurt le 27 janvier 1844.

[2Juliette a reçu ce jour-là Mme Triger, la seconde péronnelle désigne peut-être Suzanne.

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