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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 novembre [1843], vendredi matin, 10 h.

Bonjour mon Toto chéri. Bonjour mon bien-aimé. Est-ce que ton sparadrap ne t’a pas fait l’effet que tu en attendais ? Tu m’avais promis, si tu allais mieux, que tu viendrais ce matin. Et, quoique tu me fasses souvent ces promesses sans les tenir, je crains ce matin que ton manque de parole ne soit significatif et que tu n’ailles pas mieux.
J’ai fait des rêves affreux toute la nuit, ce qui ne me dispose pas à des idées gaies ce matin. Je voudrais bien que tu puisses venir me tranquilliser. Si tu savais comment je t’aime mon adoré, tu saurais combien je peux être inquiétéea par la plus petite indisposition. Tu ne sauras jamais mon pauvre amour combien je t’aime. Voir ton œil adoré se fermer par un petit mouvement douloureux me remue jusque dans les entrailles. Mon Victor bien-aimé, ne souffre pas. Pauvre ange, je te demande cela comme si cela dépendait de toi. C’est que dans mon habitude de tout rapporter à toi, mes pensées et mes prières, je ne m’aperçois pas que j’oublie le bon Dieu. Peu de chose en vérité, mais il est si bon qu’il me pardonnera. C’est une manière qui en vaut bien une autre que celle de l’aimer et de l’adorer dans son œuvre la plus parfaite et la plus ravissante. Je te dis tout cela comme en revenant de Pontoise [1]. Tout ce que je sens est si beau et si grand que pour passer par la petite porte de mon esprit, il faut que je le casse et que je l’amoindrisse pour le faire sortir.
Je voudrais bien que tu fusses guéri. Je voudrais aussi que tu prisses des précautions pour empêcher le mal de revenir. Je t’en ai indiqué quelques-unes que tu n’as pas encore faites, ça n’est pas gentil. Vous voulez que je prenne les rênesb de votre gouvernement et vous ne voulez pas m’obéirc, c’est absurde. Taisez-vous et faites ce que je vous dis, ça vaudra bien mieux que de dire des académicienneries. Et pour commencer, dépêchez-vous de venir m’apporter vos beaux yeux à baiser et votre cher petit bec pour toutes sortes de choses. Obéissez ou craignez ma fureur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 9-10
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « inquiété ».
b) « rennes ».
c) « obéïr ».


3 novembre [1843], vendredi soir, 4 h. ¼

Je suis bien impatiente de te voir, mon adoré, pour savoir comment tu vas et pour te baiser sur ta chère petite bouche. Je t’attends depuis ce matin. Je me suis dépêchée tant que j’ai pu pour être prête à l’heure que tu viendrais et je t’attends encore. La journée a été bien belle aujourd’hui. Je voudrais bien savoir si tu vas mieux. Je serais bien contente si ta douleur était partie. J’ai fait de si vilains rêves toute la nuit que je ne serai tranquille que lorsque je te verrai. Où es-tu, mon Toto chéri ? Est-ce que tu es encore parmi tes ouvriers ? Il me semblait que ça devait être fini chez toi ? Il est vrai que, je sais par moi-même, qu’une fois qu’on a mis le nez dans un dérangement ou un arrangement quelconque, ça n’en finit plus. Je te plains de tout mon cœur si ça ne t’amuse pas plus que moi. Excepté les petits travaux que je peux faire seule avec toi je déteste avoir chez moi l’engeancea ouvrière, même les honnêtes ARTISANS. Ce pauvre Lanvin, ce n’est pas sa faute, mais il m’ennuyait autant que n’importe qui de son espèce.
Je t’aime toi, voilà ce qui ne m’ennuie pas à dire ni à faire depuis le matin jusqu’au soir et depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Aussi s’en aperçoit-on à la monotonie de mes gribouillis et à l’uniformité de mes paroles ; c’est toujours la même chose en trois mots : mon Toto je t’aime, ou : mon Toto je t’adore. Ça n’est pas plus varié que ça ni au-dedans ni au-dehors. Si ça ne vous amuse pas j’en suis fâchée mais je ne changerai pas ma manière pour vous faire plaisir. Prenez-en donc votre parti une bonne fois pour toutes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 11-12
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « engence ».

Notes

[1Avoir l’air de revenir de Pontoise : avoir l’air hébété, confus, troublé.

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