Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1838 > Février > 2

2 février [1838], vendredi matin, 10 h. ½

Bonjour, cher bien-aimé. M’aimes-tu ? Penses-tua à moi ? C’est te dire, en même temps que je te le demande, que je ne te quitte pas de la pensée et que je t’adore. C’est notre mois, celui-ci, et déjà je sens un parfum d’anniversaire qui me réjouit l’âme [1]. C’est de ce mois-ci, depuis cinq ans, que j’ai commencé à vivre, avant j’étais dans un état de somnambulisme. Depuis cinq ans, mon adoré, je n’ai pas cessé de croire en toi, de t’adorer de toutes les forces de mon âme. Depuis cinq ans je n’ai pas été une seule minute sans sentir croître en moi cette admirable chose qu’on appelle amour. Jour, toi. Jour, vous. Qu’est-ce que vous avez fait toute la nuit, gros Toto ? Avez-vous eu soin de ne pas avoir froid, de ne pas vous coucher trop tard et de vous garer des voleurs ? Je pense à cela toute la nuit parce que je m’endors tard et que jusqu’à ce que je perde le sentiment de mon existence, je ne pense qu’à toi, mon bien-aimé. Je vais me lever tout de suite pour débarbouiller ma Claire. C’est ce matin qu’elle retourne à la pension. Vous recouvrez donc dès aujourd’hui vos grandes entrées que vous n’aviez pas perdues mais dont vous profitez très peu, trop peu, pour mon bonheur particulier. Jour, vous. Je ne vous en dis pas davantage mais j’en pense plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 39-40
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain
[Pouchain]

a) « pense-tu ».


2 février [1838], vendredi soir, 8 h.

Je suis bien malheureuse, n’est-ce pas, de t’aimer au point d’en perdre la raison et la retenue qui convient à une femme de garder dans toutes les circonstances de sa vie ? Je suis bien malheureuse, n’est-ce pas ? Et il ne faudrait pas moins que tout ton amour pour me calmer et pour me consoler ? Je n’en suis pas là, cependant. Je sais que tu es bon, que tu es généreux, mais je ne sais plus si tu m’aimes. Je suis folle de chagrin, la vie me pèse et m’ennuie. Je n’ai jamais eu de bonheur depuis que je suis au monde car je n’ose pas appeler de ce nom l’atroce passion qui depuis cinq ans me torture et me déchire le cœura par les tourments de la jalousie. Je touche, je l’espère, à une catastrophe qui me délivrera de tous mes maux à la fois. Je n’ai jamais, je crois, sentib aussi vivement mon désespoir que dans ce moment-ci. Je me [illis.] suis odieuse et insupportable. Je n’ai jamais trouvé la vie plus difficile et l’amour plus rempli d’amertume. Je suis triste, triste. Mon Dieu, quand donc la paix, je ne dis pas le bonheur, mais la paix, la paix de l’esprit, du corps et de l’âme ? Pourtant tu es bien bon, bien dévoué, bien honnête, bien prévenu pour moi. Mais je ne sais pas être heureuse de toutes ces bonnes choses-là. Je ressemble à un âne à qui on donnerait des confitures à la place de chardons sous prétexte que c’est meilleur. Moi je ne sais pas me nourrir avec de bons et nobles procédés. Il me faut une autre espèce de nourriture qui est de l’amour. Je vois bien maintenant qu’il me faudra mourir de faim.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 41-42
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain
[Souchon]

a) À cet endroit, un blanc apparaît, dû, semble-t-il, à un liquide. En écrivant ces mots, Juliette Drouet aurait-elle pleuré ?
b) « sentie ».

Notes

[1Les amours de Juliette Drouet et Victor Hugo ont débuté en février 1833.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne