24 décembre [1842], samedi matin, 10 h.
Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour bien-aimé. Bonjour mon bon petit homme chéri, comment vas-tu ce matin ? Tu vois, mon pauvre petit bien-aimé, que je n’ai que trop raison quand je n’ajoute pas foi à tes promesses puisque tu ne les tiens jamais. Je sais bien que ce n’est pas ta faute, mon cher petit, aussi je ne t’en veux pas, mais qu’est-ce que cela prouve pour le bonheur ? Je prends mon courage à deux mains pour résister au chagrin et au découragement qui s’emparent de moi. J’y réussis médiocrement mais ce n’est pas ma faute non plus. Tout cela ne m’empêche pas de t’aimer plus que jamais. Qu’a dit DD [1] de son petit sac [2] ? Ta broderie a-t-elle été bien critiquée ou bien te conservera-t-elle sa pratique ? Quant à moi, j’y tiens beaucoup à sa pratique et je suis capable de tous les sacrifices pour la conserver. À propos, penseras-tu à lui demander des penaillons ? Il faut aussi mettre à contribution son frère en supposant qu’il ait quelque chose à laquelle il ne tienne pas du tout. J’enverrai prévenir Lanvin aujourd’hui et d’ici à un jour ou deux, j’espère avoir les exemplaires. Je le chargerai de faire emballer celui de mon beau-frère [3] et de l’affranchir à la diligence. Après quoi, nous serons tranquilles de ce côté-là. Je n’ai pas encore de cocotte. Il est vrai qu’il n’y a pas de temps de perdu. Dans tous les cas, j’ai ce qu’il faut pour le port mais je n’aurai pas assez pour acheter la cage. C’est aussi aujourd’hui le mois du coiffeur. Hélas ! hélas ! hélas ! C’est ici le cas de parler d’autre chose. Car jamais sujet de conversation n’a été moins agréable pour moi. Je voudrais ta pièce [4] jouée et la GRANDE AFFAIRE finie. Alors, je pourrais espérer quelques moments de ce bon bonheur d’autrefois. Mais il y a encore bien longtempsa d’ici là, surtout quand, comme moi, on attend depuis plus de deux ans [5]. Je commence vraiment à désespérer. Pourtant, je t’aime de toute mon âme, mon amour chéri. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 317-318
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « long temps ».
24 décembre [1842], samedi soir, 3 h. ¾
Pas plus de cocotte que dessus la main [6], mon cher amour, mais aussi pas plus de Toto que dans mon œil, ce qui est une triste compensation.
5 h. ¼
Vous êtes venu me donner un démenti, mon cher petit homme, au moment où je me plaignais de ne pas vous voir. Je vous en remercie et je voudrais bien que vous recommenciez tout de suite à me refaire le même AFFRONT. Vous voyez que je ne suis pas difficile. Comme vous seriez gentil, mon amour, si vous veniez me prendre pour marcher un peu ce soir. Il y a cinq semaines que je n’ai mis le pied dans la rue [7] et je commence à me sentir de grands maux de tête. Ce soir entre autresa, je souffre beaucoup mais vous ne viendrez pas, vous avez bien d’autres chosesb à penser, ma foi, que de penser à moi. Cependant, mon Toto, je vous reprie de nouveau de ne pas oublier ma commission auprès de D.D. [8] et de son frère [9]. Je serais si contente si je pouvais envoyer quelque brimborions à ces pauvres petits goistapioux bretons. Tu dois comprendre ça, toi, si bon et si doux pour tout le monde et pour les petits enfants en particulier. Pensez-y donc, mon Toto, et je t’en remercierai par un bon baiser bien tendre. Et ma CULOTTE ? Est-ce qu’elle ne viendra jamais ? Je t’assure, mon Toto, que si tu ne me la donnes pas, je referai encore une maladie. Je le sens. Tu crois que c’est pour rire mais je t’assure que c’est bien bien vrai. J’ai au-dedans de moi une tristesse et une démoralisation qui influe sur ma pauvre machine. Presque tous les soirs quand je me couche, je me sens des douleurs à l’estomac de la même nature que celles que j’ai euesc ce printemps. Si tu ne me donnes pas bien vite un peu de joie et de bonheur, tu verras ce qui arrive, je ne te dis que ça.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16350, f. 319-320
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
a) « entr’autres ».
b) « autre chose ».
c) « eu ».