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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 décembre [1837], samedi matin, 11 h.

Non vous ne m’avez pas graissé mes bottes d’une vilaine [1] mais vous m’avez brûlé le cœur mon beau garçon et assez cruellement, je peux le dire. Cependant, je ne vous en veux pas, ce qui est d’une grande âme, n’est-ce pas ? Mais ce qui est bien plus fort que tout ça, c’est que je crois que vous m’aimez et que vous ne me TROMPEZ pas. En vérité, je vous le dis, je deviens d’une grande force en crédulité. Il n’y a plus rien d’incroyable pour moi. D’où veniez-vous donc ce matin si bien parfumé, peigné et ratissé ? De l’imprimerie ? ceci ne m’a pas trop le caractère de la vérité. Je crois que vous me trompez Toto, j’en suis sûre même. Mon couteau, mon couteau ! Ah ! vous allez à l’imprimerie, vous. Eh ! bien moi j’ai un couteau fraîchement repassé et je vous prie de passer tout de suite chez moi pour l’essayer sur votre cœur de TRAÎTRE.
Jour Nono. Je ne ris pas. Je vous aime. Est-ce pour toute la journée que vous êtes venu cinq secondes ? Ça serait bien peu pour tant de désirs et d’amour. Mais vous n’êtes pas généreux en amour, c’est une justice que je n’aime pas à vous rendre mais qui est vraie.
Tâchez donc de me mener chez Mme Pierceau aujourd’hui. Cela me distraira et me fera prendre l’air. Mais vous ne viendrez pas avant minuit j’en suis trop sûre. Ah ! si je ne vous aimais pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 200-201
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


23 décembre [1837], samedi soir, 5 h. ½

C’est un rude métier que celui d’attendre. S’il m’était donné de choisir entre tous les plus désagréables et les plus difficiles, ce n’est pas celui-là que je choisirais.
Il est probable que tu iras à la pièce de Paul [2] ce soir. Peut-être aurait-il été équitable de me mener chez Mme Pierceau afin que je ne sois pas absolument seule vis-à-vis cette triste soirée. Il est vrai qu’il n’est pas dans tes habitudes d’avoir avec moi rien de ce qui marque des égards.
J’ai vu Jourdain aujourd’hui qui m’a demandé 50 F. pour la fin de l’année. Il m’a paru fort maussade. Peut-être est-ce la circonstance qui lui donnait cet aspect. Je ne sais. Toujours est-il qu’il demande 50 F. On lui redoit dit-il 300 F. sur le mémoire non réglé. C’est une vérification à faire ainsi que celle du damas [3].
Je ne vois personne de chez Mme Lanvin. Le temps passe et rien ne se fait. Il faudra cependant mon cher ami que tu prennes deux heures sur tes affaires pour les donner aux miennes. Je suis aussi maussade que Jourdain quoique ce ne soit pas de l’argent que je demande. Ne m’en veux pas d’être ainsi. Je ne peux pas m’en empêcher. Je souffre, va. Je ne te voudrais pas à ma place. C’est fort dur et fort triste. Bonsoir cher enfant. Amuse-toi bien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 202-203
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

Notes

[1Juliette s’inspire du proverbe suivant : « Graissez les bottes d’un vilain, il dira qu’on les brûle », qui se dit pour « donner à entendre qu’on ne reçoit ordinairement que des reproches & de l’ingratitude du service qu’on rend à un malhonnête homme » (Dictionnaire de l’Académie française, 3e édition). Dans le contexte, Juliette croise implicitement cette idée avec l’expression familière « graisser ses bottes » (être sur le point de mourir).

[2Le drame Guillaume Colmann, ou les Deux Guides, par Paul Foucher, a sa première au Théâtre de la Porte-Saint-Martin.

[3Dans la lettre du 25 mai 1836 au matin, Juliette évoquait le damas à payer.

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