Jeudi 21 décembre [1837], midi
Bonjour cher petit homme, bonjour cher adoré. As-tu bien dormi ? J’ai rêvé de toi toute la nuit, moi. J’ai rêvé que vous étiez bon et que [vous] m’aimiez de toutes vos forces. Est-ce vrai ? Vous me direz cela tantôt. En attendant et pour vous donner l’exemple je vais vous aimer de toute mon âme et ne penser qu’à vous.
Je voudrais bien que tu puisses te dispenser d’aller à aucune des deux pièces qui se jouent samedi [1]. Ce serait vraiment trop triste pour moi de garder la maison quand vous vous faites admirer par toutes les femmes du théâtre. Pensez à cela mon cher bien-aimé et tâchez de m’épargner ce nouveau chagrin. Il n’y a pas si longtemps que le dernier est oublié. Je voudrais bien te voir, je voudrais bien te baiser, je voudrais bien lire dans tes yeux que tu m’aimes. Si tu pouvais ne pas trop tarder à m’apporter ta chère petite carcasse, je serais bien joyeuse et bien geaie. Mais hélas rien n’est moins probable et il faut d’avance me résigner à ne te voir qu’un quart d’heure dans toute la journée. J’ai bien de la peine à y arriver, mais enfin… Tâche aussi de penser à redemander tes dessins à Boulanger [2]. Voici le Jour de l’an et je veux les avoir pour mes étrennes ou bien je serai très triste et très malheureuse car je t’aime de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 192-193
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
21 décembre [1837], jeudi soir, 5 h. ¼
Je pense à toi, je t’aime, je t’adore. Sois tranquille mon bien-aimé. Si tu ne peux pas venir ce soir avant minuit, je n’aurai pas d’amertume. Je serai résignée et bonne et je te donnerai tout l’amour que j’aurai amassé pendant tout le temps que je ne t’aurai pas vu. Tu étais bien bon et bien tendre tantôt. Aussi cela m’a fait du bien à l’âme et rempli de joie mon cœur. Tu vois bien, mon adoré, que je m’aperçoisa quand tu m’aimes. C’est pour cela que j’ai la même clairvoyance quand tu ne m’aimes pas et…
Mais je ne veux pas revenir sur ces derniers temps. C’est encore bien de trop de ne pouvoir pas les oublier tout à fait sans en parler. Tu m’aimes, aujourd’hui, je suis heureuse. Voilà tout ce que je sais et tout ce que je sens.
Soir mon cher petit homme. Tâchez de ne pas vous mouiller. Vous avez des petites beuttes aujourd’hui. Vous devriez par conséquent rester au coin de mon feu. À propos de feu, en faisant sécher ma page à la bougie je l’ai incendiée à l’image de mon cœurb. Ce n’est pas un grand malheur, au contraire, ce sera toujours une ligne de moins pour vos pauvres yeux à lire.
Je t’aime mon Victor. Merci mon amour vous avez été bien I tantôt. Je vous aime de tout mon cœur. Aimez-moi de même.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 194-195
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « m’apperçois ».
b) Un morceau du bas de la page est en effet manquant.