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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 4 février 1853, vendredi midi ½

J’ai la meilleure volonté du monde d’être très aimable et très spirituelle aujourd’hui, mon cher petit bien-aimé. J’y aurai d’autant plus de mérite que les éléments de ces deux choses me manquent encore plus aujourd’hui que les autres jours puisque vous serez absent toute la journée. Cependant cela ne me décourage pas et je vais de l’avant comme si j’avais tout ce qu’il faut pour amener à bien cette bonne résolution. J’espère d’ailleurs que vous me tiendrez compte de la bonne volonté autant que du fait lui-même si jamais, par impossible, il pouvait se réaliser une fois. D’abord, pendant que je travaillerai ce sujet, je ne me plaindrai pas d’être toujours sacrifiée à toutes vos commissions et je ne jetterai pas des regards d’envie sur le beau soleil qui reluit pour tout le monde, moi exceptée. La chose en vaut la peine, comme vous voyez. Aussi je m’y applique d’arrache-cœur. Tâchez de ne pas prolonger votre séance jusqu’à 11 h. du soir et revenez bien vite me voir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 133-134
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain


Jersey, 4 février 1853, vendredi après-midi 1 h. 

Je ne sais pas si je t’ai dit que j’entreraia dans mon nouveau logis [1] lundi prochain, mon cher petit homme, mais j’ai pris cette résolution pour échapper, si c’est possible, à la saoulerie prochaine de ma propriétaire et pour éviter les émotions désagréables qui en résultentb toujours pour moi à cause des piles [2] immenses dont son mari complètec la chose. Et puis encore pour ne pas voir trop longtemps leurs figures engrimacées de dépit, plus que de regret, de ne pas me garder moi et mon charbon. Lundi, donc, je coucherai dans mon nouveau logis. Je tâcherai qu’il n’y paraisse pas trop chez toi. Je suis d’ailleurs impatiente de savoir si ce logement sera de ton goût. Je déteste quand il faut que j’agisse d’après moi-même. Aussi j’ai peur de n’avoir pas réussi pour ce changement de domicile. Enfin, lundi j’en aurai le cœur net. D’ici là je m’enferme le plus que je peux chez moi pour éviter les rencontres maussades. Et puis je te baise chacun SON tour. Je te souris l’un après l’autre [3]. Et puis je t’attends et je t’aime en chair et en os. Maintenant, mon petit Toto, si vous ne me trouvez pas assez AIMABLE et assez SPIRITUELLE comme ça c’est que vous êtes bien difficile. Quant à moi, je me plais et je m’admire depuis les pieds jusqu’à la tête.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 135-136
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « entrerais »
b) « résulte ».
c) « complette ».

Notes

[1Juliette a décidé de quitter Nelson Hall, logement qu’elle occupe depuis le 12 août 1852, du fait de l’alcoolisme chronique et du caractère violent des propriétaires. Le 7 février 1853 elle s’installe « encore au premier étage, au-dessus d’une auberge, le Green Pigeon, appartenant à un certain Richard Landhatherland qu’elle appellera Inn Richland. », Gérard Pouchain, Robert Sabourin, Juliette Drouet ou la dépaysée, Fayard, 1992, p. 274.

[2« Piles » : volées de coups.

[3En novembre 1852 un atelier de photographie est aménagé du rez-de-chaussée de Marine Terrace dans la grande pièce sombre qui ouvre sur la serre. Depuis lors Juliette Drouet collectionne avec ferveur les portraits de son amant, des daguerréotypes, pour la plupart exécutés par Charles.

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