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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 décembre [1839], dimanche, midi ½

Bonjour, mon bon petit bien-aimé. Bonjour, mon adoré. Bonjour, bonjour. Pourquoi que vous n’êtes pas venu, vieux vilain ? Je vous attendais. Je vous attends encore et je vous aime. J’ai acheté une chaufferettea tout à l’heure ainsi vous pouvez me mener avec vous sans crainte et sans remordsb quand vous ferez vos visites. Je tiens beaucoup à ce que vous ne les fassiez pas sans moi. Les Besancenot sont en l’air ce matin/ On n’entend que des fiacres. J’ai déjà vu Résisieux monter en voiture trois ou quatre fois ornée de son [illis. [1]] et de son sapeau de plu gri [2]. Il paraît qu’on a baptiséc Besancenot sans son père et sans la sœur aînée, ce qui est contraire aux usages de cette classe intéressante et intéressée. Résisieux m’a promis des dragées, nous verrons si elle tient parole, ce dont je doute fort vue la capacité de sa gourmandise. Je viens d’envoyer Suzanne à la recherche de l’odontine [3]. Depuis que tu m’as dit que ma poudre ne valait rien, je m’en sers avec répugnance. Nous verrons si cette [illis.] vaudra mieux. À propos de poudre et de charlatanisme, j’ai lu la tragédie, ou la comédie, je ne sais lequel des deux, de Mme Girardin [4]. Je trouve ça joliment ennuyeuxd et EMPIRE, c’est tout bonnement l’histoire du vieux GROS qu’elle a fait infusere dans son style légèrement insipide et inodore, ce qui donne à ce chef-d’œuvre la saveur de la tisanef de chicorée amère et de bois de réglisse que je te faisais la semaine passée. Décidément je goûte peu ce genre de tisanef. Voici mon odontine ! Tiens, ça ressemble à du savon à seh faire la barbe. L’élixir ressemble à tous les élixirs et coûte francs comme tous les élixirs : les deux objets, 6 francs. Voime, voime. Voilà mon tiroir encore à sèche, c’est bien agréable mais je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 135-136
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « chauffrette ».
b) « remord ».
c) « batisé ».
d) « ennuieux ».
e) « infusée ».
f) « tisanne ».
g) « ce »


8 décembre (1839), dimanche soir, 4 h.

Voici bientôt la nuit, mon cher adoré, et je ne t’ai pas encore vu. Je t’aime pourtant de tout mon cœur et de toute mon âme. Je sais aussi que tu travailles, pauvre petit homme, mais il me semble que si tu m’aimais autant que je t’aime, tu trouverais moyen de venir plus souvent et plus longtemps. J’ai eu la visite du petit Mignon. Force m’a été d’emprunter 5 francs à la bonne pour lui en donner 10 car je n’avais plus assez d’argent, encore [ce  ?] petit fils d’épicier croyait-il toucher 30 francs à cause des trois mois échus. Je l’ai envoyé promener dans la forme d’un : « Je ne le peux pas absolument » et tout a été dit. Je m’inquiète en pensant à tout ce que j’ai à payer d’ici à demain ou après, ce qui est la même chose. Mon épicier, mon marchand de vin à qui jea vais écrire tout à l’heure car je n’en ai juste que pour aujourd’hui, du vin, les gages de la bonne, ceux du portier et le frottage, le blanchisseur, tout cela en même temps, c’est-à-dire ton sommeil, tes yeux, ta santé, ta vie qu’il faut [que] tu me donnes en pièces de cent sous. En vérité, c’est bien triste pour moi qui t’aime et qui voudrais donner ma vie pour toi : mon bon petit homme, je peux vendre quelque chose, ma boucle par exemple, ce sera toujours ça de gagnéb et cela me fera un bien grand bonheur. Je t’en prie, mon petit Toto, ne me refuse pas et puis tâche de venir souper ; nous aurons un bon petit souper bien bon et bien gentil et je te tiendrai tête, hein ? C’est séduisant. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 137-138
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « je je ».
b) « gagner ».

Notes

[1On croit lire « callemi thibet ».

[2Déformation enfantine pour « chapeau de pluie gris ».

[3Odontine : Produit opiacé contre le mal de dents.

[4La comédie de Delphine de Girardin L’École des journalistes avait été reçue à la Comédie-Française, puis censurée.

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