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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er mai 1843

1er mai [1843], lundi matin 11 h.

Bonjour mon cher petit bijou d’homme, bonjour mon adoré, bonjour. Comment vas-tu et comment m’aimes-tu ? Je suis déjà triste de la pensée que toute cette journée va s’écouler sans te voir comme toutes les autres. Ne crois pas que ce soit de l’ennui ou du désœuvrement, mon Toto. Non, ce que j’éprouve, c’est un vide affreux dans la pensée, dans le cœur, dans l’âme ; c’est un besoin de mes yeux de te voir, de ma bouche de te baiser, de ma langue de te dire que je t’aime. Enfin, c’est tout mon moi qui se tourne vers toi pour te désirer et pour t’aspirer. Du reste, pour l’emploi matériel de mon temps, je me suis créé tant d’occupations dans l’intérieur de ma maison qu’il ne m’en reste jamais pour m’ennuyer ; loin de là, je n’en ai jamais assez car je suis toujours en retard. Tu vois donc, mon Toto, que ma tristesse n’est pas de celle qui vient de la paresse et de l’inactivité. Elle vient de trop t’aimer, voilà tout.
Ma péronnelle [1] s’est levée de bonne heure pour te marquer tes chaussettes et elle s’en acquitte avec un empressement charmant. On dirait qu’elle met une pensée de reconnaissance dans chaque point. Pauvre enfant, sans toi qu’est-ce qu’elle serait devenue et moi-même, où serais-je à présent ? Sois béni, mon adoré. Sois heureux dans tous ceux que tu aimes. C’est un vœu de tous les jours et de tous les instants.
J’ai donné congé à ma servarde pour le reste de la journée et pour toute la soirée. Nous dînerons ma fille et moi de viandes froides. Si tu peux nous faire marcher ce soir, cela nous fera du bien et du bonheur tout ensemble. Si tu ne le peux pas, je tâcherai d’être raisonnable et de ne pas te tourmenter. En attendant, je baise tes pauvres beaux yeux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 83-84
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


1er mai [1843], lundi après-midi 4 h. ¾

Ô ne sois pas triste mon adoré ! Ne sois pas souffrant surtout. Si tu savais comme cela m’inquiète quand je vois le moindre petit nuage sur ta noble figure, quand je pressens de la fatigue ou de la souffrance dans tout ton être adoré, mon Toto, tu comprendrais comment ma sollicitude pour toi va souvent jusqu’à l’importunité. Ceta incendie du Havreb [2]. si près de ton enfant t’a fait mal, mon pauvre adoré, par la pensée qu’elle aurait pu en être victime. Je comprends cela, quoique le danger soit passé depuis longtemps. Mais, mon pauvre adoré, tu achètes tous les jours par un dévouement sans borne pour tout le genre humain la vie, la santé et le bonheur de tes enfants. Sois donc tranquille sur eux tous, mon bien-aimé. Jamais ton pauvre cœur ne sera éprouvé de ce côté-là. C’est moi qui te le dis avec le don de seconde vue que mon amour me donne pour tout ce qui te touche.
Quant à moi, mon cher adoré, je suis toute prête à réformer ma maison. Tout ce qui pourra diminuer ton fardeau, je le ferai avec le plus grand bonheur. Je te donnerai avec reconnaissance mon dernier soupir pour un sourire. Ne sois pas triste, mon noble Victor, et ne t’inquiète pas pour l’avenir. Je suis prête à tout faire pour ton bonheur, même à mourir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 85-86
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « cette ».
b) « Hâvre ».

Notes

[1Claire Pradier, sa fille.

[2Le théâtre du Havre a brûlé dans la nuit du 28 au 29 avril. Léopoldine et son mari n’habitent pas loin du sinistre.

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