Guernesey, 1er mars [18]70, MARDI GRAS, 7 h. ½ du m[atin]
Bonjour, en long, en large, en grand, en bon, en fort amour, bonjour, je t’adore. C’est encore jour d’anniversaire aujourd’hui et le plus radieux de tous pour moi [1], aussi je le fête à ma façon en me taillant une énorme, une énorme Restitus que vous serez forcé d’avaler en disant pourquoi. Tant pis, j’ai le bonheur féroce, TA. Tout cela ne me dit pas comment tu as passé la nuit et si ta douleur ne se ressent pas de la pluie épaisse et noire qui tombe en ce moment. La pensée que tu as peut-être mal dormi et que tu souffres davantage ce matin rabat un peu beaucoup mon joyeux caquet. J’attendrai pour le reprendre d’être bien sûre que tu es de CHARME au-dedans comme au dehors. Autre rabat joie, mais anodin celui-là, c’est l’impossibilité de s’assurer aujourd’hui si le bonhomme chinois, dédaigné par Suzarde, mérite de devenir NOTRE IDOLE [2]. La pluie s’oppose à cette constatation. Mais, à défaut de ce bric-à-brac, plus ou moins éreinté, j’ai mon petit fétiche intérieur qui me tient lieu de tout et de bien d’autres choses : JE T’AIME ! Je défie tous les dieux du ciel et de la terre de valoir celui-là. Aussi je m’y tiens pour cette vie et pour l’autre, et vous ?
BnF, Mss, NAF 16391, f. 61
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette