15 décembre [1836], jeudi soir, 3 h. ¾
Pas encore venu, mon cher petit homme. Vous ne serez point étonné de me voir triste et abattue. Je pense à ce soir. De plus, j’ai passé une bien mauvaise nuit. J’ai pris un bain ce matin et j’en ai fait prendre un à Claire. Du reste je ne me sens pas soulagée, au contraire. Mme Guérard est venue tout à l’heure pour demander des billets d’opéra pour demain. Je lui ai fait entendre à peu près que c’était impossible. Elle n’a pas paru en être persuadée. De plus j’ai une lettre de Mme Krafft que je n’ai point décachetée [1].
Je continue à être fort triste. Si j’osais, je pleurerais de bon cœur. Je ne me retiens qu’à cause de ma petite fille, sans cela je lâcherais la bonde à mes larmes.
Je suis si HEUREUSE ! Je ne perds pas tout, à part l’espoir de te voir avant ton dîner, et pour cause…
J’ai très froid aux pieds, mon déjeuner ne me passe pas : jolie situation ! Enfin c’est égal, ce n’est pas une raison pour t’ennuyera. On en prendb plus avec la joie qu’avec les pleurs [2]. Ainsi, c’est à moi d’user des moyens indiqués par un célèbre poète de ce temps ci. Malheureusement je crois que ce sont des remèdes bons à l’opéra tout au plus, mais quand une fois l’amour d’un homme s’en va, il n’y a ni pleurs, ni joie, ni sourire, ni carmin [3] qui le fasse revenir. N’est-ce pas mon Toto ?
BnF, Mss, NAF 16328, f. 243-244
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette
a) « ennuier ».
b) « on n’en prend ».