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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 novembre [1836], lundi matin, 4 h. ½

Bonjour mon cher petit homme, bien chéri. Est-ce que vous n’allez pas bientôt venir ? Est-ce que vous aurez la cruauté de me laisser toute seule ce soir à garder la maison tandis que vous irez au théâtre ? Vous en êtes bien capable et j’en suis triste d’avance. Savez-vous, mon cher petit bien-aimé, que le régime auquel vous me soumettez depuis plus d’un mois, me donne des maux de tête presque continuels.
Je n’ai pas besoin de vous dire que vous me trouvez la femme la plus ennuyeusea qu’il y aitb, avec mes plaintes et mes doléances sans fin.
Cependant je vous aime bien, allez. Je vous aime comme jamais homme avant vous n’a été aimé et comme jamais homme après vous ne le sera. Je vous aime de tout mon cœur, de toutes mes forces, de toute mon âme. Pardonnez-moi de vous tourmenter à ce point, mais je ne peux pas m’empêcher. Je vous aime trop. Ce n’est pas beaucoup ma faute.
Jour. C’est une céleste figure, ta, di, ta, ta [1].
Je baise humblement le bout de vos cheveux et passionnément la pointe de vos BAUTTES.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 158-159
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « ennuieuse ».
b) « est ».


21 novembre [1836], lundi soir, 5 h. ¼

Avec toute la bonne volonté que j’ai de te cacher ma tristesse et ma jalousie, je n’en viens pas à bout. Il est certain qu’il est au moins étonnant que tu suives avec tant d’assiduité et de sollicitude les représentations de l’opéra [2]. Toi qui n’as jamais suivi celles des autres théâtres beaucoup plus intéressantes pour toi, je ne me leurre pas, tu as évidemment un intérêt autre que la représentation qui t’attire là. J’en suis tellement convaincue que je fais tous mes efforts pour me séparer de toi. Le jour où ma résolution sera assez forte pour accomplir cette séparation, tu n’auras rien à me dire ni ma conscience non plus. Au reste, il paraît que cela t’est bien égal, et que les quelques résistances que tu y apportes ne sont que pour la forme et voilà tout.
Je suis bien heureuse, n’est-ce pas ? Je suis bien récompensée de l’amour sans borne que j’ai pour toi, n’est-ce pas ? Je ne crois pas qu’on puisse trouver dans le monde une femme plus malheureuse que moi. Mon Dieu, qu’ai-je donc fait pour tant souffrir, et pourquoi ne me donnez-vous pas le courage de rompre une liaison aussi mal assortie, ou l’indifférence suffisante pour vivre au milieu de cette comique ridicule qu’on appelle la vie ? Mon Dieu quand donc serai-je morte ?

J.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 160-161
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Sans doute une allusion nous échappe-t-elle.

[2La Esmeralda, opéra de Louise Bertin sur un livret de Victor Hugo, a été créé à l’Opéra le 14 novembre 1836.

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