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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 novembre [1836], jeudi, midi ½

Je t’aime, mon bien aimé, je t’aime plus que ma vie. Le désespoir auquel je suis en proie ne me vient que lorsque je suis éloignée de toi, et que je crois que tu seras avec des femmes qui toutes s’efforceront de te plaire [1].
Au reste, tu dois voir que mes craintes ne sont pas chimériques et que je devine assez bien le genre de tentative qu’on essaie sur toi. Mon cher adoré, mon Victor bien aimé, ma vie, ma joie, mon âme, mon souffle, ne te laisse jamais prendre à ces vulgaires séductions.

5 h. du soir

Je reprends ma lettre si agréablement interrompue pour te redire que je t’aime, que je n’ai qu’une seule crainte, c’est que vous soyez accessible à la tentation d’opéra et autres –
Depuis que vous m’avez quitté on m’a apporté une lettre de Mme Krafft. J’ai une démangeaison atroce de l’ouvrir pour savoir ce qu’elle dit de l’opéra, cependant je crains de vous fâcher. Vous conviendrez qu’il est bien absurde que je me prive du plus grand plaisir après celui de vous aimer, la curiosité, puisqu’il faut l’appeler par son nom [2], capable de faire faire les plus grandes sottises aux femmes en général. Malheureusement je ne suis pas seulement une curieuse. J’ai le plus grand intérêt de cœur à savoir ce que se dit et ce qui se pense à votre sujet. D’après cela mon cher petit homme vous devriez me laisser lire la lettre, sans me battre et sans même me grogner hein ? Voulez-vous ? Vous serez très gentil si je n’ose pas… J’espère même que je résisterai jusqu’à la fin.
J’ai mis en ordre tous vos papiers et tous vous journaux depuis quinze jours, quel TAS ! et puis je vous aime et puis je vous baise et puis et puis je vous aime, voilà.

J.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 142-143
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]


17 novembre [1836], jeudi soir, 5 h. ½

Toto, mon petit Toto, où alliez-vous ainsi paré ? Je ne comprends pas trop la nécessité de la chemise rose. Serait-ce qu’à la faveur de cette couleur vous prétendriez me faire voir des étoiles en plein midi et la fidélité en pleine trahison ? Mon cher petit homme je crois devoir vous prévenir que tous mes instruments de vengeance sont en état et que vous courez un très grand risque, si vous me trompez.
Je ris, mais je ne ris pas. N’est-ce pas, mon petit homme, que tu m’es fidèle ? N’est-ce pas que tu n’aimes que moi ? N’est-ce pas que tu ne voudrais pas pour rien au monde, de ces amours profanes qui s’offrent à tous les hommes et dans tous les cas ?
J’insiste sur ceci parce que pour la plupart des hommes ce serait un danger auquel leur vertu ne résisterait pas. Mais moi, qui t’ai aimé et choisi entre tous pour te donner mon cœur et mon âme, moi qui ai refait ma vie en taillant dans la chair et dans le sang pour ne pas laisser une seule forme du passé. Moi, je mérite bien de n’être pas traitée comme le commun des femmes, car moi je t’aime d’un amour vraiment pur. Je t’aime vraiment comme on aime Dieu ou plutôta comme on doit t’aimer : à genoux, les yeux, le cœur et l’âme fixés sur toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 144-145
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]

a) « plus tôt ».


17 novembre [1836], jeudi soir, 5 h. ¼

Vous m’avez coupé mon papier, ça fait que je serai obligéeª de mettre en deux fois ce que j’avais à vous dire. Vous saurez donc, mon cher bien-aimé, que je suis toute fière de votre libretto puisque libretto vous avez baptiséb l’une de vos plus belles œuvres. Que plus je lis et relis, ce poème, et plus il me semble ravissant. Maintenant je crois que la musique de Mlle B. [3] ne peut être que charmante quel que soit son mérite intrinsèque, car ici, dans cette circonstance, contrairement à toutes les habitudes des opéras, les paroles sont de la musique.
Je ne sais pas comment cela se fait, mais je t’aime tous les jours davantage ou du moins, tous les jours autant, ce qui est cause que je crois que cela augmente de minute en minute.
Mon rêve, mon désir, ma joie ce serait d’avoir une occasion de me dévouer pour toi ! De mourir pour toi !
Je t’aime tant, mon cher adoré, que ce n’est pas avec des mots seulement que je peux te le prouver, ma vie suffirait à peine pour exprimer ce que tu m’inspires.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 146-147
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « obligé ».
b) « batisée ».

Notes

[1La Esmeralda, opéra de Louise Bertin sur un livret de Victor Hugo, inspiré de Notre-Dame-de-Paris, a été créé le 14 novembre 1836 à l’Opéra.

[2Citation de la fable « Les Animaux malades de la peste », de La Fontaine : « La peste, puisqu’il faut l’appeler par son nom, / Capable d’enrichir en un jour l’Achéron / Faisait aux animaux la guerre ».

[3Louise Bertin, compositeur de La Esmeralda, créé trois jours plus tôt à l’Opéra, et dont Victor Hugo a écrit le livret.

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