13 novembre [1836], dimanche après-midi, 2 h.
Je t’aime mon cher adoré, je t’aime de toute mon âme. Je suis un peu beaucoup grognon. C’est que je souffre, vois-tu, ne m’en veux pas, ça ne te regarde pas, c’est ma mauvaise nature qui fait des siennes, mais le cœur n’y est pour rien.
Je viens de dépenser horriblement d’argent, mais je ne pouvais guère faire autrement. J’ai envoyé chercher des gants, une ceinture et des petits peignes par ma bonne, car je ne compte pas sur toi d’ici à demain.
Mon pauvre petit homme chéri, je suis vraiment un peu souffrante. La tête surtout me fait bien mal. Je crois que ce sera comme cela jusqu’à demain soir après la représentation, heureusement que la cacadémie ne me causera aucune émotion. La vieillea bête est trop spirituelle pour cela.
J’aurais bien voulu assister aux répétitions [1], moi, pour voir comment vous acquittezb de votre devoir d’amant envers moi, mais vous n’avez pas voulu me donner ce spectacle de peur que je ne suis trop émerveillée de votre scrupuleuse fidélité. Mais je vous ai dressé une EMBÛCHE dont vous ne sortirez que mort ou adoré. Mlle Laurette [2] est chargée de me faire un rapport très détaillé de l’emploi de votre temps et de vos gestes, de me répéter toutes les paroles que vous aurez prononcées à voix haute et à voix basse ainsi que leur signification. Tant pis pour vous s’il y en a une seule de suspecte. Je vous couperai toute espèce de communication directe avec le BEAU SEXE, ainsi nommé par la Cadémie française dont vous ne faites aucune partie et puis je vous aime, etc. etc. etc. etc.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16328, f. 130-131
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette
a) « vielle ».
b) « acquitter ».
13 novembre [1836], dimanche soir, 5 h. ¼
Je te remercie, mon pauvre ange, car je sais toute la peine que tu as euea pour obtenir ces quelques fleurs que tu m’as données. Je serais bien contente que tu pusses venir me voir demain soir. À cette condition je consens à ne pas voir ton opéra à VOL D’OISEAU [3]. Tu sais que j’ai peu d’estime pour toutes les ascensions en général. Je ne les aime que dans ton particulier quand elles ne s’élèvent pas au-dessus du 1er étage.
Je viens d’envoyer les billets à Mme Francois. J’ai écrit pour demain à Mme Krafft et à Mme Pierceau. Maintenant je vais m’occuper de MOI. Je me sens toujours bien souffrante, je voudrais que demain fûtb déjà passé, pour l’être à mon AISE, et puis pour avoir au moins une petite chance de te voir un peu plus qu’un quart d’heure par chaque [sic] jour.
Je commence à prendre en grippe les opéras. Je n’aime pas les poètes qui chantent si bien à la scène et si mal chez leur maitresse, entendez-vous ? Je m’ennuie beaucoup, moi. Je ne vous vois plus jamais vot moigneau. C’est pas beaucoup amusant, mais patience, aussitôt votre cacophonie passée, je m’empare de gré ou de force de votre instrument dont on a beaucoup trop joué depuis quelques jours à mes dépensc.
Je voudrais bien savoir, maintenant que vous avez vos places, que votre opéra est répété, votre libretto imprimé, ce qui vous empêche de venir dîner ou souper avec moi ce soir ? Si vous saviez l’impatience et le besoin que j’ai de vous voir, vous quitteriez tout pour me satisfaire sur ce point. Ah ! Autrefois je n’avais pas besoin d’exprimer ce désir pour qu’il soit aussitôt satisfait. Maintenant j’ai beau prier, crier, hurler, chanter même, je n’obtiens rien… qu’une 4e loge. C’est dur de café [4].
Mais je vous aime et j’avale la douleur non sans jeter les hauts cris.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16328, f. 132-133
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette
a) « eu ».
b) « fut ».
c) « dépends ».