Guernesey, 4 déc[embre] [18]72, mercredi matin, 11 h.
Cher bien-aimé, je suis à bout de force, de patience, de salive, de comptes, de chiffres et de rack [1]. J’ai voulu me punir de m’être levée trop tard pour te voir en faisant mes comptes de novembre, ce qui n’a pas été sans un fort tirage car j’avais oublié de marquer sur mon livre cent francs donnés à Ambroisine le vendredi 8 novembre. Heureusement que les dits centa francs étaient inscrits sur son livre et que j’ai eu l’idée de l’envoyer chercher pour le vérifier. Enfin, c’est fini, fini, archi fini et sans erreur cette fois. Maintenant, mon adoré, je suis tout au regret de t’avoir raté ce matin mais je m’en console en pensant aux bonnes nouvelles que tu as reçues hier. Grâce à Dieu, nous voilà tout à fait rassurés sur ton petit Victor [2] et bien heureux de l’état florissant de tes adorables petits-enfants. Quel bonheur j’aurais à les combler de petites bouteilles, de carasses [3], ne pas lire carappes, de poupées et surtout de tendresses, de caresses et de baisers. Mais puisque cela ne se peut pas, quant à présent, il faut tâcher de ne pas nous laisser oublier par eux en les comblant de joujoux et de bibelots étonnants au jour de l’an. Comme je te l’ai dit hier, tu peux charger de ce soin ou Mme P. Meurice, ou Louis [4] ou la mère Lanvin ; qui tu voudras, pourvu que ces chers petits-enfants soient heureux en ton nom. Quant à moi, mon adoré bien-aimé, je ne sais comment te remercier car tu me combles depuis un bout de l’année à l’autre et mon cœur ne sait auquel entendre de toutes magnificences magnifiques. Je ne trouve pas d’autre moyen de m’acquitter que de t’aimer comme je le fais de tout mon cœur et de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 334
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « cents ».