Guernesey, 23 décembre, [18]65, samedi matin, 8 h.
Tu viens encore de m’échapper, mon cher bien-aimé, malgré mon attention soutenue, mais gênée par les passants, à guetter ton apparition sur ton toit. Je sais que tu viens de te lever et après une bonne nuit, je l’espère. Quant à moi, j’ai tant et si bien dormi que j’en ai encore les yeux à moitié fermés. Le ciel aussi a les yeux fermés, car on y voit à peine. À propos, je voudrais bien qu’on essayât de voir s’il n’y aurait pas un conciliabule clandestin de rats et de souris établi dans les chambres de ces dames. Déjà on avait trouvé une souris morte de faim dans un des tiroirs de ta fille [1] à sa première absence ; ce ne fut pas par le bruit que sa présence là fut dénoncée, mais par la petite infection de son petit cadavre. À la place de Mme Chenay, je ferais une battue sérieuse dans ces solitudes avec plusieurs matous en guise de limiers. Je ferais aussi promener le balai et le plumeau dans les goums d’araignées, ne fût-ce que pour ne pas entendre le petit martellement de leur industrie. Je ferais encore astiquer à fond tous ces bons vieux chênes qui, pour n’être plus la forêt de Bondy [2], n’en sont pas moins le refuge de férocesa [illis.] destructeurs dont le vacarme doit se faire entendre bien souvent. Cette police du logis ne peut pas faire de mal dans tous les cas et le besoin de t’adorer me fait du bien.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 215
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « féroce ».