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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 12 décembre, [18]65, mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon divin piocheur. Bonjour, mon WORKMAN sublime, bonjour. J’ai beau faire, je ne peux pas vous dégoter au réveil-matin, ni vous saisir au passage quand vous arborez votre fier pavillon [1]. C’est plus qu’humiliant, c’est la perte de la joie de ma matinée. Il est vrai qu’aujourd’hui j’ai pour compensation la pensée que, puisque tu es déjà levé, c’est que ton rhume a disparu tout à fait et que tu as très bien dormi. J’espère ne pas me tromper dans mes commentaires. En attendant qu’ils se confirment, je t’adore et voilà. Il y a aujourd’hui quatorze ans révolus que tu asa quitté la France, mon pauvre grand bien aimé. J’étais bien tourmentée et bien malheureuse à ce moment-là de la nécessité de te laisser partir seul pour ta sécurité et le succès de ton évasion du crime de Bonaparte [2]. Il me semblait en me séparant de toi que j’allais mourir, que mon amour ne pouvait plus te défendre et que je ne te reverrais plus jamais. Ce que j’ai souffert pendant les quinze heures de ton trajet en Belgique, jusqu’au moment où j’ai reçu ta lettre de délivrance, ne peut pas se dire dans la langue humaine, pas plus que la joie de te retrouver libre et m’aimant. Ces sensations terribles et douces, je les retrouve aussi vives dans mon cœur à présent comme il y a quatorze ans. Mais je ne crois pas [même  ?] que je pourrais supporter de nouveau les trente-six heures de tortures de cette cruelle séparation du douze décembre, depuis huit heures du soir jusqu’au 14 le matin, sans en devenir folle ou sans en mourir [3]. Mes forces ne pourraient plus suffire à la douleur de l’absence et à la joie de te retrouver. Aussi ne nous séparons jamais plus ni dans la vie ni dans la mort. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16386, f. 204
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « a ».

Notes

[1Voir Torchon radieux.

[2Le 11 décembre 1851, Victor Hugo doit fuir la France pour Bruxelles suite aux actes de résistance qu’il a fomentés en réponse au coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851 et qui lui ont valu sa condamnation par le gouvernement. Contraint de partir seul pour ne pas attirer l’attention, il emprunte l’identité de son ami Jacques Lanvin et prend le train en direction de la Belgique. Il arrive le 12 décembre et il restera jusqu’au 1er août 1852 avant de partir pour Jersey.

[3Juliette quitte Paris dès le lendemain de son arrivée à Bruxelles et arrive à son tour le 14 décembre. Elle apporte avec elle la malle aux manuscrits de Hugo.

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