Guernesey, 12 novembre, [18]65, dimanche matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon cher petit matinal, bonjour et vive l’amour si, comme je l’espère, tu as passé une very good nuit. De mon côté, je n’ai pas trop mal dormi malgré mon bobo qui persiste encore. Il ne s’agit du reste que d’un peu de courage et de patience pour user ce mal ridicule qui n’a jamais tué personne, que je sache [1]. À propos, il paraît que Marquand est venu hier au soir pour nous voir. Mais, en apprenant que Kesler y était, il s’est enfui à tire de pattes [2]. Ce qui ne l’empêchera pas, l’amour propre aidant, de déjeuner côte-à-côte chez toi mercredi avec sa prétendue bête noire [3]. Telle est l’inconséquence des hommes en général et des Guernesiais en particulier. Il fait un temps charmant que je regarde avec envie et avec regret car je sais qu’il m’est impossible d’en profiter encore aujourd’hui à cause de mon grotesque bobo. S’il n’a pas cédé d’ici à demain je ferai venir Corbin ; mais je crois que cela ne sera pas nécessaire et que le repos absolu me débarrassera de ce mal absurde autant que douloureux. Cela ne m’empêchera pas de te rappeler de retirer la cassette de la logette quand tu viendras tantôt [4]. En attendant je laisse aller mes servardes [5] à la messe puisque cela les amuse en satisfaisant leur conscience. Moi, c’est à vous que je fais mes dévotions à toute heure et en tout lieu. Je vous adore.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 173
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette