Guernesey, 21 novembre [18]68, samedi matin, 7 h. ¾
Cher adoré, mon amour n’est pas comme le temps, il se suit et se ressemble depuis le premier jour où je t’ai vu jusqu’à ce moment. On n’en peut pas dire autant de la matinée d’hier et de celle d’aujourd’hui. Après un soleil éblouissant, la pluie. Et quelle pluie ! On dirait de l’encre tant elle est épaisse et noire. J’avais peine à distinguer tout à l’heure ton TORCHON, peu RADIEUX, hélas ! mais outrageusement mouillé et terne. Et à ce sujet, je te supplie de ne plus t’exposer à t’enrhumatiser pour me télégraphier ton adoré bonjour. J’aime mieux le deviner que de risquer ta santé chaque fois qu’il fera mauvais temps. Je te conjure, au nom de mon bonheur, de ne plus le faire quand il fera mauvais comme ce matin. Pendant que j’en suis aux sacrifices et aux renoncements, il paraît que tu as définitivement pris le parti de collationner toi-même les derniers chapitres de ton livre [1] et qu’il n’y a plus d’espoir pour moi d’en rien connaître d’ici à sa publication. Je me résigne, puisque tu le veux ainsi, mais au fond du cœur je proteste énergiquement contre cette résolution injustifiable. Je m’en venge en t’admiranta et en t’adorant encore plus fort, c’est bien fait.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 320
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « à t’admirant ».