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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 20 juillet 1858, mardi 7 h. du matin

Bonjour, mon saint Victor, trois fois canonisé par le génie, par la souffrance et par mon amour, bonjour, je t’aime, je t’envoie mon âme dans un baiser et mon bouquet dans un beau petit œuf tout chaud que vient de faire ma poule, dans trois ou quatre framboises et autant d’œillets rouges de chez Mlle Boutillier. J’attends que ta porte soit ouverte pour te présenter mes hommages et surtout, mon pauvre petit malade, pour savoir comment tu as passé la nuit. Je serai bien heureuse si tu as bien dormi. En attendant je dévore mon impatience en m’occupant de toi depuis que j’ai ouvert les yeux et tout à l’heure nous te ferons du bouillon mais sans aucune poule cette fois car tu dois être blasé sur ce goût un peu fade. J’espère que le bouillon de bœuf tout seul te plaira mieux. Quand je pense, mon pauvre bien-aimé, que c’est aujourd’hui la veille de ta fête et qu’elle se passera sans que je puisse t’embrasser, les larmes me viennent aux yeux malgré moi et je suis triste dans mon cœur et dans mon âme. Oh ! Quelle revanche nous prendrons de toutes tes souffrances dès que tu seras guéri ! Mon Victor adoré, soigne-toi bien pour que je puisse t’embrasser bientôt.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 150
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 20 juillet [1858], mardi midi

Le bon docteur est encore plus satisfait aujourd’hui que tous les autres jours, mon cher adoré, et il l’espère l’être encore davantage demain car chaque heure qui s’écoule apporte une grande amélioration dans ta santé ! Encore quelques jours de patience, de prudence et de bons soins, mon cher adoré, et tu pourras me donner la joie suprême de te voir ne fût-cea que quelques minutes. Pauvre cher souffrant, je sais que tu as souri à mes fleurs et à ma petite assiette composée de trois feuilles, de quatre fraises, de cinq framboises et d’un œuf. Merci de ce sourire, mon cher adoré, qui sera le rayon de toute ma triste journée. Pense à moi comme je pense à toi, mon bien-aimé, mais n’essaye pas de m’aimer autant que je le fais car tu n’y parviendrais pas. Ton cœur eût-il des battements de sept lieues par seconde, il ne rattraperait pas le mien dans le chemin qu’il a fait depuis vendredi dans l’amour et l’adoration infinis de ta chère petite personne.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 151
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « fusse ».


Guernesey, 20 juillet 1858, mardi après-midi, 4 h. ½

Je te remercie de m’envoyer ta pensée adorée sous la forme, trop palpable du gros Quesnard qui dans cette triste circonstance nous montre beaucoup de dévouement et d’amitié à tous les deux. Je te remercie mon cher bien-aimé, de penser à moi, de penser à tout, car tu m’envoies les journaux que je n’ai presque pas le temps ni le goût de lire tant je suis occupée de toi de corps, de cœur et d’esprit. Puis les allants et les venants, Mlle Allix, le bonhomme Cahaigne, les Marquand qui viennent les unsa m’apporter de tes nouvelles et les autres en chercher. Tout cela fait que j’ai peu de temps à donner à la lecture, sans compter que je suis incapable de comprendre quoi que ce soit qui ne soit pas le besoin de ta guérison et celui de te revoir. Oh, à ce sujet j’ai bien envié le bonheur de Suzanne tantôt qui a eu la chance d’entrer dans ta chambre. Hélas ! quand donc rentreras-tu dans la mienne ? J’attends, je prie, j’espère, je souffre, je pleure, je t’aime. Ô mon adoré, que je voudrais être plus vieille de tout le temps qui me sépare encore de toi. Soigne-toi bien, ne fais pas d’imprudence, pense à moi, je t’aime de toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 152
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « un ».


Guernesey, 20 juillet [1858], mardi soir, 10 h. ½

Tu continues de regrimper tout doucement vers la santé, mon cher bien-aimé, et si rien de mauvais ne vient de faire obstacle, comme nous l’espérons et le désirons tous, et moi encore plus que tout le monde, tu seras bientôt arrivé à la guérison complètea de tous tes horribles bobos. Continue d’être bien prudent mon ineffable adoré, pour que j’aie bientôt le bonheur de te voir. Jusque là, il m’est impossible d’être à autre chose qu’à ta souffrance et au chagrin que me cause ton absence. Les Marquand, très aimables d’ailleurs et mus par un bon sentiment, voulaient me faire sortir ce soir mais je les ai absolument et définitivement refusés comme j’avais refusé Mlle Loisel et les Préveraud qui voulaient que j’allasse dîner chez eux. Je préfère à toutes les distractions possibles le sanctuaire de tes souffrances. Il me semble que chaque fois que je baise la place où ta tête adorée s’est posée fatiguée par le mal, je t’enlève une douleur à distance. Je sais bien que ce n’est qu’une illusion, mais comme toutes les illusions, elle me console et me fait prendre patience jusqu’au jour où je pourrai voir ton beau visage rayonnant de toute ta santé. Pour cela il faut bien dormir cette nuit, mon cher petit malade. Bonsoir mon bien-aimé, bonsoir, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 153
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « complette ».

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