5 novembre [1840], jeudi après-midi, 1 h.
Malgré ta promesse, mon pauvre amour, je n’espère pas te revoir de la journée. Je sens bien que puisque ta famille est encore à Saint-Prix [1] qu’il faut que tu y aillesa tous les jours. Cependant je dois avouer que je ne désire pas son retour car j’aime mieux, ne pouvant pas t’avoir sans intermittence, t’avoir toute la nuit et une partie de la matinée qu’un quart d’heure soir et matin comme il t’arrive presque toujours de m’en donner quand tout ton monde est à Paris installé. Dans la cruelle nécessité de me séparer de toi tous les jours j’aime mieux tout ce qui diminue d’une seconde le malheur de l’absence que ce qui le prolonge. Voilà mon opinion, ce n’est pas ma faute si je sens ainsi. Baise-moi mon adoré. Je t’aime toujours de plus en plus sans savoir comment cela se fait car il semble impossible d’aimer plus quand on aime déjà de tout son cœur, de toutes ses forces et de toute son âme. Eh bien moi, je résous ce problème difficile à chaque instant de ma vie. Je vais envoyer chercher la coquille [2] de Mme Guérard tout à l’heure et ensuite faire acquitter la note de l’épicier. Je ne pourrai pas encore me faire BELLE aujourd’hui. Mais soyez tranquille le jour où je m’y mettrai ce sera HORRIBLE. Baisez-moi en attendant et n’abusez pas de votre AVANCE car vous êtes déjà dans tous vos atours, vous. Baise-moi scélérat.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16343, f. 129-130
Transcription de Chantal Brière
a) « aille ».
5 novembre [1840], jeudi soir, 6 h. ½
Vous voyez bien, mon adoré, que je n’avais que trop raison quand je disais ce matin que je ne vous verrai plus d’ici à minuit. Hélas ! Quand il s’agit de votre absence j’ai des tristesses qui ne me trompent pas d’avance.
J’ai vu Mme Triger à qui j’ai donné les deux verres communsa, un pour elle et un pour Mme Pierceau comme elle y allait ce soir. Je me suis débarrassée au plus vite de la corvée d’offrir ces deux verres qui n’ont rien de merveilleux par eux-mêmes ! Pour leur donner un peu de piquant et pour remercier ces deux dames d’avoir assisté à la distribution des prix en mon absence je leur ai fait les honneurs de nos deux bourses en disant que Claire les avait faites à leur intention. D’ailleurs nous n’y perdrons rien parce que notre Clairon [3] nous en fera d’autresb plus commodes et plus jolies parce qu’elles seront mieux faites. Mon Toto chéri je vous aime de toute mon âme et je voudrais avoir un petit JONAS [4] de vous. C’est mon vœuc le plus cher mais qui ne sera jamais exaucé comme tout ce qu’on désire de tout son cœur. Par exemple depuis tantôt je désire ardemment vous baiser tout de suite et cependant il n’est que trop sûr que je n’aurai pas ce bonheur-là avant minuit. Tenez, je vous dis que vous êtes un scélérat. Taisez-vous et venez, ça vaudra mieux ou je SALIS tous vos peignes. Voime, voime, vieux cochon, ils sont propres quand ils sortent de vos mains, vous êtes une bête et moi aussi mais je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16343, f. 131-132
Transcription de Chantal Brière
[Blewer]
a) « commun ».
b) « d’autre ».
c) « vœux ».