30 juin [1840], mardi soir, 7 h. ½
J’allais t’écrire tout à l’heure, mon amour, lorsque la mère de Mme Guérard est encore venue m’annoncer sa fille pour demain et reprendre son parapluie. Cette pauvre vieille femme aime à jaboter et j’ai eu la complaisance de me prêter à sa manie. Enfin elle vient de s’en aller et je me mets à t’écrire dare-darea afin de te prouver que ce n’est pas ma faute quand je suis en retard. J’ai fini de chercher mes cheveux blancs, je suis enfin digne de poser devant tous les soleils du monde [1]. Il me semble que le temps d’aujourd’hui était assez favorable ? Je m’attends à ce qu’on nous écrira d’un moment à l’autre, et que fidèle à ton système de guignon, tu seras à Saint-Prix [2] juste le jour où on écrira. Du reste je te dirai chemin faisant que j’ai une fameuse venette que tu n’y sois allé dans ce moment-ci. Ça serait bien triste pour moi qui t’avais tant prié de me mener à Ruy Blas ce soir ou tout au moins marcher, sortir, prendre l’air. Si je me trompe, si en effet tu es à Paris, tâche de revenir tout de suite pour me donner la joie de me repentir et de te pardonner dans un débordement de baisers et d’amour. Je t’aime Toto. J’ai encore mes comptes de la fin du mois à faire ce qui, vu mon mal de tête permanent, n’est pas une petite besogne. Baise-moi Toto chéri. Baise-moi mon amour. Je vous aime. Je vois à peine les petites Besancenot, la mort de leur grand-mère et la présence du petit frère les amusent beaucoup et cela se comprend à leur âge. Moi je n’ai de joie, de plaisir, de bonheur qu’en vous. Tâchez de ne pas m’en priver trop longtemps. Je vous dis que vous êtes mon Toto bien-aimé, à bientôt mon amour si tu n’es pas à Saint-Prix.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16342, f. 245-246
Transcription de Chantal Brière
a) « dard dard ».