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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 8 avril 1852, jeudi, midi

Je te remercie, mon cher bien-aimé, d’être venu au-devant de moi en me tendant la main et le cœur le premier car une mauvaise fausse honte m’avait fait prendre la résolution de me garder de tout épanchement et de toute tendresse extérieure, afin de ne plus retomber dans le stupide incident d’hier. Je te remercie d’autant plus que, comme tu ne l’avais que trop bien deviné, j’étais fort triste et fort malheureuse depuis notre séparation. Mais, mon Victor, je refuse absolument l’offre que tu me fais, par pure condescendance de faire faire cette clef inutile [1]. J’avais cru d’abord que l’absence de cette clef était un obstacle de plus à nos rapprochements mais depuis que tu m’as démontré hier que cela n’y faisait rien, je ne vois pas ce que notre bonheur gagnerait à faire faire bénévolement cette dépense à tes belles tabatières ? Qu’il n’en soit donc plus question, mon Victor, c’est déjà beaucoup trop que j’aie insisté hier avec tant de mauvais goût. J’aurais dû m’en rapporter à toi dès le premier mot et me le tenir pour dit une fois pour toutes. Maintenant, mon Victor, c’est fait. Aussi bien, je n’avais pas attendu jusqu’à hier au soir pour être convaincue de l’absurdité, de l’inutilité et du ridicule de pareilles réclamations. Ces sortes de sentiments ne se commandent pas et il y a une sorte de honte à les provoquer. Par respect pour toi et pour moi, mon Victor, n’en parlons plus. Je t’aime, tu m’aimes, qu’importe le RESTE. Il y a déjà bien longtemps que je me suis imposée le désintéressement d’une morte à ce sujet. Ce n’est donc pas le moment de REVENIR sur un fait accompli. Je t’aime, je ne regrette rien. Tu m’aimes, je ne désire rien de plus. Je t’adore, mon bonheur est là.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 289-290
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 8 avril 1852, jeudi après- midi, 2 h.

Je t’obéis de mon mieux, mon Victor, ce qui ne m’empêche pas d’être toujours hideuse et de souffrir beaucoup. Cependant on trouve autour de moi que cela va mieux. Quant à moi je me trouve si dégoûtante, que je ne vois aucun progrès vers la guérison [2]. Après cela je ne le regrette que pour toi, car pour moi seule je n’y ferais pas attention. Aussi, puisque cela ne te contrarie pas j’attends patiemment le résultat de cette lèpre improvisé.
Je te demande pardon de l’incohérence de mes gribouillis, mais j’ai depuis quelques jours la tête un peu malade, de sorte que je ne sais ni ce que je dis ni ce que je pense. J’avais envie de ne pas t’écrire puis j’ai craint que tu ne crois que c’était maussaderie et je me suis dépêchée de te donner la preuve contraire. Si je n’y réussis pas mieux, ce n’est pas la faute de mon cœur, mon Victor, aussi il ne faut pas m’en vouloir. Quelle bonne petite lettre tu m’as écrite tantôt, mon petit homme, aussi je l’ai lue avec toute mon âme [3]. Je t’en remercie pour tout le bien qu’elle m’a fait pour tout le bonheur qu’elle m’a donné, pour tous les regrets qu’elle a éteints, pour toutes les espérances qu’elle a fait renaître. Merci, mon Victor adoré, merci. Je suis bien heureuse. Tu verras que je serai bien discrète, bien bonne, bien résignée et bien courageuse ce mois-ci. En attendant je te souris à travers mes rougeurs et mes gales et je t’attends sans la moindre peur de te faire horreur. Tâche de venir d’un peu de bonne heure pour que j’aie plus de temps pour remplir mes yeux, mes lèvres et mon cœur de toi.

Juliette

BnF, Mss NAF 16370, f. 291-292
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Victor Hugo a adressé le matin même à Juliette une lettre dans laquelle il déclare : « […] Soigne ton pauvre charmant visage malade. On fera faire toutes les clefs qu’il vous plaira, je croyais mieux faire de ne pas en avoir, tu crois le contraire, que votre volonté soit faite, Grande Place comme passage Saint-Hubert ! […] Œuvres complètes, CFL, t. VIII, p. 1102.

[2Juliette souffre d’une maladie de peau qu’elle identifie comme étant la gale.

[3Victor Hugo à Juliette Drouet : « Jeudi matin / Vous avez été très bête hier, j’ai peur que tu n’en sois toute triste aujourd’hui, et je t’envoie mon plus doux baiser. J’irai te voir tantôt, et si je peux bientôt. Cher doux ange, tu es ma joie, mets-toi donc cela dans l’esprit, je t’aime, je ne vivrais pas sans toi. Soigne ton pauvre charmant visage malade. On fera faire toutes les clefs qu’il vous plaira, je croyais mieux faire de n’en pas avoir, tu crois le contraire, que votre volonté soit faite, grand place comme passage St Hubert ! A tout à l’heure ; je vous ordonne d’être très contente. Sur ce, je vous baise Madame. (CFL, t. VIII, p. 1102 ; Gaudon, ouvrage cité, p. 198.)

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