Paris, 20 avril 1881, mercredi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, en même temps que je te félicite de ta bonne nuit, j’ai le regret bien vif et bien sincère de t’apprendre la mort de Mme Louis Ulbach dont le pauvre mari dînait si gaiement avec nous samedi dernier. Rien ne pouvait faire prévoir la mort si prochaine de la pauvre femme qu’on enterre aujourd’hui à midi. Les journaux qui annoncent cette mort ne disent rien de la cause mais elle devait être bien imprévue à en juger par la sécurité de son mari qui l’adorait autant qu’il en était aimé. Ces terribles coups de foudre ont un écho douloureux dans tous les cœurs qui aiment et qui, comme moi, ont concentré tout leur bonheur dans la vie de l’être aimé.
Pauvre M. Ulbach, comme il doit être désespéré ! Peut-être ferais-tu bien de lui écrire un mot aujourd’hui même. Si quelque chose peut lui donner le courage de continuer à vivre après un si navrant malheur, c’est une parole de foi et d’espérance de retrouver plus tard celle qu’il pleure venue de toi. Mais tu sais mieux que moi ce qui peut se dire et se faire dans une si triste circonstance, moi je ne sais que t’aimer, t’implorer et te bénir.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 85
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette