Paris, 25 janvier [18]72, jeudi matin, 8 h.
Mon cher bien-aimé, chaque jour amène pour toi de nouvelles complications dans ta vie domestique, dans ta vie politique et dans ta vie littéraire, témoin le voyage inutile d’ Émile Allix [1], la prolongation presque certaine de la suspension du Rappel et les chausses trapes [2] de l’Odéon sur les pas de Ruy Blas. Heureusement que ta force, loin d’être diminuée par tous ces guet-apensa de la destinée et des hommes, s’accroît dans la même proportion que ton malheur, ton génie et ta gloire. C’est ce qui rassureb tous ceux qui, comme moi, souffrent de ta souffrance, t’admirent, t’aiment et te vénèrent. C’est aussi ce qui exaspère jusqu’à la rage et jusqu’à la folie tes odieux et impuissants ennemis. Mais, quoi qu’ils disent et quoi qu’ils fassent, Ruy Blas comme le Rappel sortironta de toutes ces embûches plus grands et plus vivants que jamais. Cette prophétie facile à faire m’est soufflée par les cent mille voix qui ont voté pour toi le 7 janvier, et les deux cent mille mains qui ne demandent qu’à applaudir ton chef-d’œuvre seront plus fortes que toutes les cabales. Donc, mon cher adoré bien-aimé, confiance ! confiance ! confiance ! comme disait en son bon temps le citoyen de Girardin… qui, depuis, mais alors… Et la pauvre Restitus oubliée, qu’est-ce qu’il faut que j’en fasse ? J’ai bien envie de la ficher au feu pour lui apprendre. En attendant l’exécution de cette promesse, je vous aime sans grâce ni pardon.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 22
Transcription de Guy Rosa
a) « guet à pens ».
b) « rassurent ».
c) « sortirons ». Volontaire ou non, la faute est amusante et instructive.