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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 avril [1839], vendredi, midi ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour toi que j’aime. Je suis levée parce que j’avais trop fait la paresseuse pour me permettre de déjeuner dans mon lit. Il fait bien beau aujourd’hui. Il est vrai que tu pourras peut-être me mener tantôt chez la mère Pierceau, auquel cas tout s’explique. Depuis que je suis née, le printempsa n’existe plus dans cet aimable pays, c’est moi qui l’ai tué comme HERCULE étouffant des serpentsb dans son berceau. J’espère que je ne suis pas seulement forte au physiquec mais encore en citation MYTHOLOGIQUE ? Tout cela n’empêche pas que je vous adore et que j’aid rêvé cette nuit que nous partions pour un MOIS EN VOYAGE ! Malheureusement ce n’est qu’un rêve. Tâchez, mon Toto, que ce rêve devienne une réalité. En attendant, aimez-moi et venez le plus tôt possible. Votre cocotte est déjà à la fenêtre, elle a fait tous ses efforts ce matin pour dévorer sa cage mais elle en a été pour ses frais de bec. Je rage de ce qu’elle ne parle pas, j’ai peur que cet animal ne soit qu’une bête, ce qui serait une humiliation pour mon amour propre d’institutrice. Vous n’en faites jamais d’autre. Taisez-vous. Il fait un froid de loup. Je n’ai bientôt plus de bois, QUEL BONHEUR ! Je souffleraie dans mes doigts, quel charme. Quel plaisir de grelotter dans ce beau pays de France. Voime, voime. Baisez-moi, réchauffez-moi et venez très tôt mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 43-44
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « primptems ».
b) « serpens ».
c) « phisique ».
d) « je n’ai ».
e) « soufferai ».


12 avril [1839], vendredi soir, 5 h. [illis.]

Je m’étais apprêtée, mon Toto, espérant que tu viendrais peut-être me chercher mais il paraît que la sauce est longue et qu’elle ne t’a pas permis de la quitter ? Je me résigne donc à rester au coin de mon feu comme c’est mon devoir de femme opprimée et amoureuse. Je vous aime, mon Toto, je ne suis pas aimable mais je vous aime. On ne peut pas tout avoir, ainsi, contentez-vous de votre lot, ce n’est déjà pas le plus mauvais. Il fait un temps à porter le diable en terre, ma cheminée fume et je n’ai plus de bois, calamité sur calamitéa. De plus j’ai mal à la tête. Je ne sais pas comment tu peux tenir dehors par le vent, le froid et la poussière qu’il fait, il me semble que tes pauvres yeux doivent être en capilotade. Tu devrais bien risquer la sauce pour ta santé et notre bonheur. Si c’était moi je n’hésiterais pas, mais moi je ne suis pas une aussi fameuse cuisinière que vous, j’en conviens. Jour, mon petit o. Jour mon gros To. Papa est bien i. Quand je le verrai, je le baiserai, je l’adorerai. En attendant, je prends ma patience et mon courage à deux mains pour ne pas être une vieille grognon ennuyeuseb et injuste. Donnez-moi votre vec. Pensez à moi, aimez-moi, désirez-moi et regrettez-moi. J’en fais autant et plus de mon côté.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16338, f. 45-46
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

a) « calammité sur calammité ».
b) « ennuieuse ».

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