Paris, 21 mai 1881, samedi matin, 7 h.
Merci, mon divin bien-aimé, pour ton adorable petite lettre que je viens de relire pour la troisième fois depuis une heure avec adoration [1]. Tout ce que tu dis est grand, beau, tendre et rayonnant comme la parole de Dieu lui-même. J’ai le cœur et l’âme ravis comme si j’étais déjà en pleine possession de toi au ciel. Je te souris, je t’admire, je te vénère, je te bénis. La lecture de ma chère petite lettre me redonne force et courage et je me sens tout électrisée à chaque mot que mon âme épèle pour faire durer le bonheur plus longtemps.
Le temps froid et incertain jusqu’ici s’esta mis au beau fixe avec un soleil ardent qui te fera bien et plaisir à la fois. J’espère que tu pourras en profiter malgré l’énorme travail des épreuves, accumulées, à corriger. J’ai hâte que ton livre ait paru [2], comme tout le monde, pour avoir le bonheur de le lire ; et plus que tout le monde encore, pour que tu achèves de te guérir.
En attendant, mon doux adoré, je suis bien contente que tu aies passé une presque bonne nuit. Cette pensée s’ajoute à toutes les joies que tu me donnes à l’occasion de ma fête. Et à ce propos, je ne t’ai pas demandé si tu voulais permettre que je donne du vin de Champagne soit aujourd’hui soit demain. Aujourd’hui nous avons à dîner les deux Banville, les deux Charpentier [3], les deux Arsène Houssaye et Lesclide, c’est-à-dire en nous comptant avec Mlle Venot, en tout dix personnes à table. Demain dimanche, Paul Meurice, quatre, Robelin, Paul Foucher, Lesclide, Mendès et Gassier et nous, en tout onze. À toi, mon grand petit homme de décider s’il y a lieu d’en servir et quel jour. Pour moi je n’ai pas besoin de cette agréable boisson pour me sentir en verve de gaîté dont ta lettre m’abreuveb jusqu’à l’ivresse. Ainsi, mon cher bien-aimé, ne te gêne pas pour dire ce que tu veux que je verse à boire à nos convives. Je t’adore et je ne m’intéresse que médiocrement à la joie des autres, tel est mon égoïsme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 110
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
[Souchon]
a) « c’est ».
b) « abreuves ».