Guernesey, 19 janvier 1862, dimanche matin, 8 h. ½
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour dessus et dessous tes couvertures où tu dois être encore, je l’espère, si tu as la moindre perception du froid qu’il fait dehors. C’est à ce point que je n’en aia pas encore ouvert mes fenêtres malgré les agaceries du soleil. Quand je t’aurai gribouillé ma RESTITUS, j’ouvrirai tous mes sabords et je mettrai toutes voiles dehors ; mais, autrement, je sens que l’onglée tourne autour de mes doigts pour tâcher de les mordre et me faire lâcher prise et je ne veux pas lui céder. Cher petit homme, j’espère que tu as passé une bonne nuit et que tu n’as pas de mal de tête ni ailleurs ce matin ? Ah ! voici que j’entrevois votre cher petit galbe rose à travers vos carreaux. Si j’en juge par la couleur et la vivacité de vos mouvements vous devez vous porter comme un charme… que vous êtes. À propos de charme, vous nous en avez montré, ou plutôt fait entendre un hier au soir auquel personne ne pourra résister. Quelle merveille de grandeur et de sublimité que cette mort du conventionnel [1] et quel bonheur de l’entendre lire par toi ! Il semblait que les paroles sortaient lumineuses de ta bouche comme les pensées dans ton cerveau. C’était un vrai éblouissement pour moi et il me semblait que c’était la première fois que je faisais connaissance avec ce chapitre splendide que je sais pourtant par cœur. Merci, mon adoré, merci, merci en mon nom et au nom de l’humanité toute entière pour laquelle ce livre sera un soleil moral aussi bienfaisant que l’autre l’est pour la nature. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16383, f. 18
Transcription de Brigitte Siot assistée de Florence Naugrette
a) « n’en n’ai ».