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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 15 juillet [18]79, mardi matin, 6 h.

Cher bien-aimé, je ne demande pas mieux que de te payer les arriérés de mon cœur, ne fût-cea que pour profiter de l’axiome : « Qui paie ses dettes, s’enrichit. » Et Dieu sait si j’ai besoin de m’enrichir de ton amour entier et fidèle. Douter de la solvabilité de ton amour me cause un désespoir sans fond où je voudrais laisser ma vie avec mon âme pour échapper à cette torture de damnée : ne plus être aimée, ou être moins aimée ce qui est la même chose. Cette impossibilité d’accepter un partage de quelque nature qu’il soit révolte toutes les fiertés et toutes les pudeurs de mon amour et plutôtb que de consentir à cet outrage humiliant et impie je préfère la mort sous toutes ses formes depuis celle du corps jusqu’à celle de l’âme. C’est pourquoi je te supplie de ne pas prendre la peine de me tromper si, comme j’ai tant de raisons de le craindre, tu appartiens, pour si peu que ce soit, à une autre que moi. Je me soumettrai courageusement je le sens, je le crois, je l’espère à la cruelle amputation de mon amour. Ce que je repousse, ce qui m’indigne, ce que je maudis, c’est le partage de près ou de loin avec une autre. Tu n’as pas le droit de me tromper. Tu es libre de donner ta vie, tes préférences, tes caprices et ton cœur à qui te plaît. Tu n’as pas le droit de me tromper, moi, qui t’aime sincèrement, exclusivement, passionnément et religieusement. J’en appelle à ta probité, à ta bonne foi, au respect de toi-même et à ton honneur. Sois à moi comme je suis à toi ou devenons nous étrangers l’un l’autre dans cette vie et de toute éternité. Tout vaut mieux que le mensonge. Ne me l’imposec pas je t’en supplie. Laisse-moi mourir dignement loin de toi si je ne peux pas vivre honnêtement près de toi. Je me sens le courage de me soumettre à la perte de ton amour dont tu n’es pas maître ; mais je redoute et je fuis avec horreur toute promiscuité quelque voilée et cachée qu’elle soit.
Cher adoré, je te supplie encore une fois d’avoir pitié de moi par une franchise égale à mon amour. Je te le répète je saurai me soumettre avec courage à une fatalité qui ne dépend pas de toi, peut-être, mais il dépend de toi d’être un honnête homme et à moi de rester la digne et honnête femme qui t’adore.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

Collection particulière, MLM, 62260 0083/0085
Transcription de Gérard Pouchain
[Charpentreau]

a) « fusse ».
b) « plus tôt ».
c) « imposes ».
d) « quelque ».

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