Paris, 22 août [18]79, vendredi matin, 7 h.
J’espère, mon grand bien-aimé, que ta nuit aura bien fait les honneurs de ta bonne journée d’hier où tu as retrouvé si heureusement ce que tu cherchais depuis si longtemps. Ce grand allègement de ton esprit a dû se faire sentir jusque dans ton sommeil, aussi j’espère que j’apprendrai tout à l’heure de bonnes nouvelles de ta nuit.
Quant à moi qui ai partagé une partie de ton souci et de ton chagrin je n’en ai éprouvé aucun bénéfice et j’ai passé une aussi mauvaise nuit que d’habitude, encore un peu plus mauvaise, encore, si c’est possible, car je ne me suis presque pas couchée. À cela près, je vais très bien.
Je vous annonce, « cher Maître », une ravissante petite lettre de votre encore plus ravissante petite Jeanne que je vous porterai dès que votre porte sera ouverte [1]. Je vous annonce également, « cher Maître », une trombe de lettres féminines plus délirantes les unes que les autres et capable de faire sauter votre Sainte-Barbe comme un simple caisson d’artillerie. Fichtre ! Cette épistolairerie n’y va pas de plume morte et je m’en sens tout intimidée au point de ne plus oser finir mon paisible et insignifiant gribouillis. Enfin je prends mon cœur à deux mains pour te dire tout bêtement que je t’aime à perte d’âme jusque dans les profondeurs de l’éternité.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 207
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette