Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Mai > 5

5 mai 1841

5 mai [1841], mercredi soir, 4 h. ¼

Vous êtes mon cher bien-aimé que j’aime et que j’adore. Seulement vous êtes un vieux Chinois [1] de ne venir toujours qu’au moment où je suis imprenable comme un autre Gibraltar [2]. Certainement il est bon que vous veniez aussi dans ces moments-là mais ce serait à la condition de ne pas vous éclipser dans les autres où je suis bonne à MARIER. Taisez-vous, je vous dis que vous êtes un vieux Chinois de paravent. À propos vosa cure-dents coûtent quatre sous et non pas trois comme vous le prétendez. Je vous préviens qu’il me sera difficile pour ne pas dire impossible de subvenir à tous ces nouveaux frais que vous ajoutez de jour en jour sur mon livre de dépense. Mes REVENUS n’y suffiraient pas, ia, ia, monsire. En attendant je voudrais bien que la mère Lanvin m’apporte les picaillons [3] en question, cela me ferait plaisir dans ce moment-ci, vu l’état d’étisieb dans lequel se trouventc mes finances.
Je voudrais bien en outre pouvoir tirer, moyennant rançon, la fameuse prière enluminée et historiée des griffes de la belle poupée [4], mais je crois que je n’y parviendrai pas. D’ailleurs, vous n’y mettez pas du tout du vôtre et ce qui fait que je n’aurai pas ma pauvre petite prière que j’aime tant. Vous êtes un monstre, Didine une avare et moi et Dédé les plus malheureuses des femmes. Tirez-vous de là si vous pouvez et osez prouver le contraire. Et dire que je ne peux pas m’empêcher de vous aimer comme une enragée, voilà ce qui me vexe. Je suis furieuse contre vous. Tiens, voici la pauvre mère Lanvin toute essoufflée, je te baise sur toutes tes coutures et sur tous tes chers petits membres sans en excepter UN SEUL.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 125-126
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « vous  ».
b) « éthisie ».
c) « trouve ».

Notes

[1Juliette appelle fréquemment Hugo ainsi parce qu’il éprouve un intérêt tout particulier pour la Chine. Il en parle dans ses œuvres et collectionne aussi chez lui de nombreux objets de Chine.

[2Référence à la cession du territoire, possession des Espagnols du XVe siècle jusqu’au XVIIIe, aux Britanniques. Par la suite, l’Espagne tenta à plusieurs reprises de reprendre Gibraltar, notamment lors du Grand Siège qui dura trois ans, mais ne parvint pas à en déloger les Anglais. Au XIXe siècle, sous l’Empire britannique, la base navale de la Royal Navy installée à Gibraltar devient un site stratégique permettant à sa flotte d’asseoir sa suprématie navale en Méditerranée. Aujourd’hui encore, il reste un sujet de discorde entre les Britanniques et les Espagnols. Juliette utilise comme toujours une métaphore, parfois militaire, pour parler de ses règles, moment toujours très douloureux pour elle. Tous les mois, à cette période, elle reproche à Hugo soit d’en profiter pour ne pas venir la voir, soit justement de ne venir qu’à ce moment-là, et elle déplore alors un manque d’entrain et de « volupté » du poète en ce qui concerne d’éventuelles relations intimes qu’elle réclame pourtant.

[3Populaire : argent, monnaie. Juliette attend que Mme Lanvin lui rapporte le reste des 500 F. utilisés pour payer les frais de pension de Claire, élève d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne