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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 juin 1841

18 juin [1841], vendredi après-midi, 4 h.

Vous êtes deux fieffés scélérats, Toto 1er et Toto 2e [1], et nous sommes nous deux deux faibles femmes et deux victimes résignées Dédé et moi. Mais vous n’avez qu’à bien tenir vos NEZ du Diable si nous nous laissons attendrir sur vos pifsa, vilains brigands. Ça vous apprendra à nous mépriser quand vous croyez n’avoir plus besoin de nous. Taisez-vous scélérat, vous n’avez pas la parole, je ne vous écoute pas. Vous n’avez pas pensé à vous mettre de la pâte d’amande, hideux bonhomme, et moi je vous ai laisséb aller avec un rire SATANIQUE : ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! Coing coing, hou, hou COING. Que je vous attrapec encore à aller faire le joli cœur aux séances publiques de l’Acacadémie, vilain monstre, et vous ferez connaissanced avec mes griffes [2]. Je n’ai pas besoin, moi, d’exposer votre vertu pour les beaux yeux des vieilles toupies [3] de l’endroit. Faites-y bien attention car je ne vous marchanderai pas les giffes, les calottes et autres légumes CHESSES, PICARDET [4]. Tenez-vous pour avertie.
J’aurais bien voulu aller à Hernani ce soir [5] mais c’est peu probable vu l’état d’ourserie dans lequel vous vivez avec moi et avec vos pièces [6]. Je ne me mets pas en frais, sachant bien que ce serait inutilement et si vous venez par hasard me chercher vous me trouverez dans mon costume de robe blanche sale, prête à tout.
Pauvre enfant bien-aimé, quel bonheur que tu aies pu ôter cet atroce morceau d’ongle qui te déchirait l’œil. Quand on voit ce que c’est on ne comprend pas que tu aies eu le courage de souffrir si longtemps avec tant de douceur et de patience. Tu es mon pauvre sublime bien-aimé dont je baise les pieds. Jour Toto. Voici la pluie, prends garde de ne pas te laisser mouiller les pieds. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 263-264
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « piffes ».
b) « j’ai vous ai laissé ».
c) « attrappe ».
d) « connaissances ».
e) « avertie ».

Notes

[2Victor Hugo a été reçu le 3 juin à l’Académie française. Il a donc pu assister le 10 juin, pour la première fois, aux séances publiques qui ont lieu chaque jeudi.

[3Toupie : femme de mauvaise vie.

[4Juliette s’inspire sans doute de Voltaire qui, dans ses lettres de septembre 1761 à son ami M. le Comte d’Argental, mentionne un académicien typique de Dijon qui porte ce nom (deux frères en réalité) qu’il tourne en ridicule en l’empruntant (avant de le transformer en Picardin) pour signer l’une de ses comédies, L’Écueil du sage, ou Le droit du seigneur. Remerciements à Jean-Marc Hovasse qui a identifié pour nous cette référence.

[5Hernani est repris à partir du 7 juin 1841 au Théâtre-Français avec dans le rôle d’Hernani Beauvallet et Émilie Guyon, qui fait ainsi ses débuts, dans celui de doña Sol. La pièce est représentée tout le mois.

[6Depuis quelque temps, Hugo ne se rend chez Juliette que très tard dans la nuit et il ne fait qu’écrire auprès d’elle sans même lui accorder un regard. Il est en effet très pris par la rédaction de ses lettres de voyage à paraître dans les deux volumes du Rhin, qu’il transmet déjà à ses imprimeurs et éditeurs.

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