2 avril [1841], vendredi matin, 11 h. ¼
Bonjour mon Toto chéri. Tu laissesa passer toutes les nuits et toutes les matinées sans venir te reposer auprès de moi, tu en auras du regret plus tard si tu m’aimes. Rien n’est encore revenu depuis avant-hier, je ne comprends rien à cet incident sinon que je commence à me DÉCOMPOSER [1]. C’est précoce, encore si je pouvais mettre sur mon sac l’étiquette COURTE ET BONNE, ce serait bien mais vous semblez avoir pris à tâche de retourner pour mon usage la joyeuse devise : vous me faites la vie loin de vous LONGUE ET MAUVAISE.
C’est aujourd’hui le 2 avril, vous n’avez plus de prétexte pour ne pas m’écrire sur mon livre rouge [2] et moi j’en ai un pour l’exiger de vous. QUEL BONHEUR !!!!!!!!b
Jour Toto, jour mon cher petit o, jour onjour. Vous avez des phame brodequins, eh ! bien moi aussi, eh ! bien moi aussi, eh ! bien moi aussi. Baisez-moi.
J’attends mes ramoneurs et mon serrurier aujourd’hui, pourvu qu’ils viennent c’est tout ce qu’il faut. Je bisquerais joliment s’ilc ne venaient pas [3]. Quel vilain temps lourd et sombre, on a toutes les peines du monde à vivre de ce temps-là, surtout quand celui qui est pour soi l’air, le soleil, la vie et le bonheur est absent. Je vous dis cela comme des cheveux sur de la soupe mais je sens bien que je veux vous dire que vous m’êtes plus nécessaire que tout au monde. Je vous aime mon Toto chéri.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 5-6
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « laisse ».
b) Les points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.
c) « il ».
2 avril [1841], vendredi soir, 7 h. ½
J’étais bien triste, mon adoré. Avant de t’avoir vu j’avais le cœur gros de ma stupide distraction pour ce hideux Mont-de-Piété et par-dessus tout de ton absence. Un rayon de toi a dissipé tous ces vilains nuages noirs. Je t’ai cependant vu bien peu mais tu as été si immensément bon, doux, tendre et charmant en si peu de secondes que mon pauvre cœur a été guéri tout d’un coup comme par enchantement. Cependant, il ne faudrait pas trop t’y fier car le besoin de te voir va me redonner mon mal plus vite et plus fort que jamais. Tâchez donc, mon amour, de revenir bien vite, je vous désire de toute mon âme. Je viens d’écrire à la mère Lanvin, je lui envoie les 20 afin qu’elle ne se trouve pas à court. Je désire qu’on n’arrivea pas trop tard, ce serait bien regrettable vraiment car il y a des tas de dentelles à toutes ces houbilles [4]. Enfin au petit bonheur.
Toujours de plus en plus beau, toujours de plus en plus ravissant, toujours de plus en plus bon et admirable, mon amour, voilà votre portrait bien fidèle. Plus fidèle que l’original peut-être, c’est ce que vous et Dieu savent. Moi je vous aime, je vous admire et je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 7-8
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « qu’on arrive ».