25 janvier [1841], lundi soir, 5 h. ¾
Eh ! bien, mon beau garçon, êtes-vous content de votre paletot [1] ? J’espère qu’il est beau maintenant, vieux saloP [2], il vous revient tout compris à 54 F. 9 sous, veloursa et journée d’ouvrière comptés. Ça n’est pas trop cher quand on songe qu’il vous fera autant de profit qu’un neuf et que vous aurez de quoi le redoubler presque entièrement. Vous voyez, mon amour, que sans amour-propre je saurais bien avoir soin de vos Zardes si j’en avais la direction. Je vous donnerai ce soir une bourse en veloursa noir avec un fermoir neuf. Comme elle sera doublée en peau en dedans, j’espère qu’elle vous fera au moins huit jours auparavant d’être déchirée.
Jour Toto, jour mon petit o. Je suis un peu mal à mon aise, mes maux d’entrailles se réveillent et ma tête me fait souffrir [3]. Je crois que cela tient à mon régime, mais qu’y faire ? Après tout, je ne serais pas fâchée de crever pendant que tu m’aimes encore un peu. Je suis si effrayée de la pensée de survivre à ton amour que je me tuerais ce soir avec joie pour être sûre que tu ne m’oublieras pas. Je ne veux pas qu’il m’oublie [4].
Cette nuit, je me suis fait beaucoup de mal en lisant la réclame de Thierry pour cette petite vieillotte d’Anaïs [5]. Il est fort heureux pour toi et pour moi que tu ne sois pas venu dans ce moment-là car j’aurais fait et dit des extravagancesb. La crise passée, je pense à ta loyauté et je me rassure un peu car ce serait si lâche et si indigne de toi de me tromper que cela n’est pas possible. Mais le premier mouvement, c’est la jalousie féroce qui n’écoute rien, aussi je me suis fait bien du mal cette nuit dont je me ressens encore. Mais je t’ai vu, mais je t’ai entendu avec ta voix si douce, si bonne, si tendre et si persuasive me dire qu’il n’y avait rien de vrai dans cette stupide réclame de théâtre que je te crois, mon amour, et que je t’aime de toute mon âme à deux genoux, comme mon cher petit Dieu que tu es.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 75-76
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « velour ».
b) « extravaguances ».