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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 août [1836], samedi matin, 10 h. ¾

Cher bien-aimé, je vous aime moi, tandis que vous êtes à Fourqueux [1] et que vous ne pensez pas plus à moi que si je n’existais pas. J’ai passé une mauvaise nuit et je me suis levée très tard et j’ai très mal à la tête. C’est d’autant plus heureux que cela ne fera que croître et embellir jusqu’à ton arrivée qui peut se prolonger indéfiniment.
Si j’avais pu prévoir ton excursion, j’aurais écrit à mon père [2] de venir aujourd’hui. Mais avec ta manière d’agir je ne peux même pas faire les choses les plus simples de la vie.
Enfin je me suis donnée à toi corps et âme. Tout ce que tu me donnes de liberté c’est pure générosité de ta part. Il est vrai qu’en y regardant de près cette générosité-là pourrait passer pour de la ladrerie.
Je t’aime, je m’ennuie beaucoup, je m’impatiente encore plus, et voilà comment je passe une existence de femme agréable.
Tâche de venir tantôt. J’aime mieux à tout prendre que tu ne sois pas avec moi s’il le faut absolument mais que tu sois à Paris.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 228-229
Transcription de Nicole Savy


13 août [1836], samedi soir, 9 h. ¾

Pendant que vous errez, mon cher bien-aimé, moi je pense à vous avec amour. J’ai bien un fond d’amertume, mais je ne le laisserai pas arriver jusqu’à mes lèvres et je tâcherai que toutes les paroles que je vous dirai soient douces et bonnes comme vous les aimez.
Savez-vous que vous êtes bien charmant de m’avoir ouvert les portes de chez vous [3]. C’était plus que de la curiosité satisfaite pour moi et je vous remercie de m’avoir fait connaître l’endroit où vous vivez, où vous aimez et où vous pensez. Mais pour être sincère avec vous mon cher adoré je vous dirai que j’ai rapporté de cette visite une tristesse et un découragement affreux. Je sens bien plus qu’avant combien je suis séparée de vous et à quel point je vous suis étrangère, ce n’est pas de votre faute mon pauvre bien-aimé, ça n’est pas de la mienne non plus mais c’est comme cela. Il ne serait pas sensé que je vous attribue dans mon malheur plus de part que vous n’y avez, mais je puis sans cela mon cher bien-aimé vous dire que je me trouve la plus misérable des femmes.
Si vous avez quelque pitié de moi mon cher amour, vous m’aiderez à sortir de cette posture accroupie et humiliante dans laquelle je suis et qui torture mon esprit en même temps que mon corps. Aidez-moi à me relever mon bon ange pour que j’aie foi en vous et en l’avenir. Je vous en prie je vous en prie.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 230-231
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1Cet été-là, Victor a loué une maison à Fourqueux, entre Saint-Germain-en-Laye et Marly-le-Roi, pour sa famille et ses amis. Il fait des allers et retours fréquents depuis la Place royale.

[2Voir la notice de René-Henry Droüet, oncle et père adoptif de Juliette.

[3Juliette visite pour la première fois l’appartement de la Place royale, en l’absence d’Adèle et des enfants Hugo, en villégiature à Fourqueux. L’effet produit sur elle est tel qu’elle écrit là une de ses lettres les plus bouleversantes.

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